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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 212

by Gustave Flaubert


  Entre deux quadrilles, Rosanette se dirigea vers la cheminée, où était installé, dans un fauteuil, un petit vieillard replet, en habit marron, à boutons d’or. Malgré ses joues flétries qui tombaient sur sa haute cravate blanche, ses cheveux encore blonds, et frisés naturellement comme les poils d’un caniche, lui donnaient quelque chose de folâtre.

  Elle l’écouta, penchée vers son visage. Ensuite, elle lui accommoda une verre de sirop ; et rien n’était mignon comme ses mains sous leurs manches de dentelles qui dépassaient les parements de l’habit vert. Quand le bonhomme eut bu, il les baisa.

  — “Mais c’est M. Oudry, le voisin d’Arnoux !”

  — “Il l’a perdu !” dit en riant Pellerin.

  — “Comment ?”

  Un postillon de Longjumeau la saisit par la taille, une valse commençait. Alors, toutes les femmes, assises autour du salon sur des banquettes, se levèrent à la file, prestement ; et leurs jupes, leurs écharpes, leurs coiffures se mirent à tourner.

  Elles tournaient si près de lui, que Frédéric distinguait les gouttelettes de leur front ; — et ce mouvement giratoire de plus en plus vif et régulier, vertigineux, communiquant à sa pensée une sorte d’ivresse, y faisait surgir d’autres images, tandis que toutes passaient dans le même éblouissement, et chacune avec une excitation particulière selon le genre de sa beauté. La Polonaise, qui s’abandonnait d’une façon langoureuse, lui inspirait l’envie de la tenir contre son cœur, en filant tous les deux dans un traîneau sur une plaine couverte de neige. Des horizons de volupté tranquille, au bord d’un lac, dans un chalet, se déroulaient sous les pas de la Suissesse, qui valsait le torse droit et les paupières baissées. Puis, tout à coup, la Bacchante, penchant en arrière sa tête brune, le faisait rêver à des caresses dévoratrices, dans des bois de lauriers-roses, par un temps d’orage, au bruit confus des tambourins. La Poissarde, que la mesure trop rapide essoufflait, poussait des rires ; et il aurait voulu, buvant avec elle aux Porcherons, chiffonner à pleines mains son fichu, comme au bon vieux temps. Mais la Débardeuse, dont les orteils légers effleuraient à peine le parquet, semblait receler dans la souplesse de ses membres et le sérieux de son visage tous les raffinements de l’amour moderne, qui a la justesse d’une science et la mobilité d’un oiseau. Rosanette tournait, le poing sur la hanche ; sa perruque à marteau, sautillant sur son collet, envoyait de la poudre d’iris autour d’elle ; et, à chaque tour, du bout de ses éperons d’or, elle manquait d’attraper Frédéric.

  Au dernier accord de la valse, Mlle Vatnaz parut. Elle avait un mouchoir algérien sur la tête, beaucoup de piastres sur le front, de l’antimoine au bord des yeux, avec une espèce de paletot en cachemire noir tombant sur un jupon clair, lamé d’argent, et elle tenait un tambour de basque à la main.

  Derrière son dos marchait un grand garçon, dans le costume classique du Dante, et qui était (elle ne s’en cachait plus, maintenant) l’ancien chanteur de l’Alhambra, — lequel, s’appelant Auguste Delamare, s’était fait appeler primitivement Anténor Dellamarre, puis Delmas, puis Belmar, et enfin Delmar, modifiant ainsi et perfectionnant son nom, d’après sa gloire croissante ; car il avait quitté le bastringue pour le théâtre, et venait même de débuter bruyamment à l’Ambigu, dans Gaspardo le Pêcheur.

  Hussonnet, en l’apercevant, se renfrogna. Depuis qu’on avait refusé sa pièce, il exécrait les comédiens. On n’imaginait pas la vanité de ces Messieurs, de celui-là, surtout ! “ — Quel poseur, voyez donc !”

  Après un léger salut à Rosanette, Delmar s’était adossé à la cheminée ; et il restait immobile, une main sur le cœur, le pied gauche en avant, les yeux au ciel, avec sa couronne de lauriers dorés par-dessus son capuchon, tout en s’efforçant de mettre dans son regard beaucoup de poésie, pour fasciner les dames. On faisait, de loin, un grand cercle autour de lui.

  Mais la Vatnaz, quand elle eut embrassé longuement Rosanette, s’en vint prier Hussonnet de revoir, sous le point de vue du style, un ouvrage d’éducation qu’elle voulait publier : la Guirlande des jeunes Personnes, recueil de littérature et de morale. L’homme de lettres promit son concours. Alors, elle lui demanda s’il ne pourrait pas. dans une des feuilles où il avait accès, faire mousser quelque peu son ami, et même lui confier plus tard un rôle. Hussonnet en oublia de prendre un verre de punch.

  C’était Arnoux qui l’avait fabriqué ; et, suivi par le groom du Comte portant un plateau vide, il l’offrait aux personnes avec satisfaction.

  Quand il vint à passer devant M. Oudry, Rosanette l’arrêta.

  — “Eh bien, et cette affaire ?”

  Il rougit quelque peu ; enfin, s’adressant au bon homme :

  — “Notre amie m’a dit que vous auriez l’obligeance…”

  — “Comment donc, mon voisin ! tout à vous.”

  Et le nom de M. Dambreuse fut prononcé ; comme ils s’entretenaient à demi-voix, Frédéric les entendait confusément ; il se porta vers l’autre coin de la cheminée, où Rosanette et Delmar causaient ensemble.

  Le cabotin avait une mine vulgaire, faite comme les décors de théâtre pour être contemplée à distance, des mains épaisses, de grands pieds, une mâchoire lourde ; et il dénigrait les acteurs les plus illustres, traitait de haut les poètes, disait : “mon organe, mon physique, mes moyens”, en émaillant son discours de mots peu intelligibles pour lui-même, et qu’il affectionnait, tels que “morbidezza, analogue et homogénéité” .

  Rosanette l’écoutait avec de petits mouvements de tête approbatifs. On voyait l’admiration s’épanouir sous le fard de ses joues, et quelque chose d’humide passait comme un voile sur ses yeux clairs, d’une indéfinissable couleur. Comment un pareil homme pouvait-il la charmer ? Frédéric s’excitait intérieurement à le mépriser encore plus, pour bannir, peut-être, l’espèce d’envie qu’il lui portait.

  Mlle Vatnaz était maintenant avec Arnoux ; et, tout en riant très haut, de temps à autre, elle jetait un coup d’oeil sur son amie, que M. Oudry ne perdait pas de vue.

  Puis Arnoux et la Vatnaz disparurent ; le bonhomme vint parler bas à Rosanette.

  — “Eh bien, oui, c’est convenu ! Laissez-moi tranquille.”

  Et elle pria Frédéric d’aller voir dans la cuisine si M. Arnoux n’y était pas.

  Un bataillon de verres à moitié pleins couvrait le plancher ; et les casseroles, les marmites, la turbotière, la poêle à frire sautaient. Arnoux commandait aux domestiques en les tutoyant, battait la rémolade, goûtait les sauces, rigolait avec la bonne.

  — “Bien”, dit-il, “avertissez-la ! Je fais servir.”

  On ne dansait plus, les femmes venaient de se rasseoir, les hommes se promenaient. Au milieu du salon, un des rideaux tendus sur une fenêtre se bombait au vent ; et la Sphinx, malgré les observations de tout le monde, exposait au courant d’air ses bras en sueur. Où donc était Rosanette ? Frédéric la chercha plus loin, jusque dans le boudoir et dans la chambre. Quelques- uns, pour être seuls, ou deux à deux, s’y étaient réfugiés. L’ombre et les chuchotements se mêlaient. Il y avait de petits rires sous des mouchoirs, et l’on entrevoyait au bord des corsages des frémissements d’éventails, lents et doux comme des battements d’aile d’oiseau blessé.

  En entrant dans la serre, il vit, sous les larges feuilles d’un caladium, près le jet d’eau, Delmar, couché à plat ventre sur le canapé de toile ; Rosanette, assise près de lui, avait la main passée dans ses cheveux ; et ils se regardaient. Au même moment, Arnoux entra par l’autre côté, celui de la volière. Delmar se leva d’un bond, puis il sortit à pas tranquilles sans se retourner ; et même, s’arrêta près de la porte, pour cueillir une fleur d’hibiscus dont il garnit sa boutonnière. Rosanette pencha le visage ; Frédéric, qui la voyait de profil, s’aperçut qu’elle pleurait.

  — “Tiens ! qu’as-tu donc ?” dit Arnoux.

  Elle haussa les épaules sans répondre.

  — “Est-ce à cause de lui ?” reprit-il.

  Elle étendit les bras autour de son cou, et, le baisant au fron
t, lentement :

  — “Tu sais bien que je t’aimerai toujours, mon gros. N’y pensons plus ! Allons souper !”

  Un lustre de cuivre à quarante bougies éclairait la salle, dont les murailles disparaissaient sous de vieilles faïences accrochées ; et cette lumière crue, tombant d’aplomb, rendait plus blanc encore, parmi les hors-d’œuvre et les fruits, un gigantesque turbot occupant le milieu de la nappe, bordée par des assiettes pleines de potage à la bisque. Avec un froufrou d’étoffes, les femmes, tassant leurs jupes, leurs manches et leurs écharpes, s’assirent les unes près des autres ; les hommes, debout, s’établirent dans les angles. Pellerin et M. Oudry furent placés près de Rosanette ; Arnoux était en face. Palazot et son amie venaient de partir.

  — “Bon voyage !” dit-elle, “attaquons !”

  Et l’Enfant de chœur, homme facétieux, en faisant un grand signe de croix, commença le Benedicite.

  Les dames furent scandalisées, et principalement la Poissarde, mère d’une fille dont elle voulait faire une femme honnête. Arnoux, non plus, “n’aimait pas ça”, trouvant qu’on devait respecter la religion.

  Une horloge allemande, munie d’un coq, carillonnant deux heures, provoqua sur le coucou force plaisanteries. Toutes sortes de propos s’ensuivirent : calembours, anecdotes, vantardises, gageures, mensonges tenus pour vrais, assertions improbables, un tumulte de paroles qui bientôt s’éparpilla en conversations particulières. Les vins circulaient, les plats se succédaient, le docteur découpait. On se lançait de loin une orange, un bouchon ; on quittait sa place pour causer avec quelqu’un. Souvent Rosanette se tournait vers Delmar, immobile derrière elle ; Pellerin bavardait, M. Oudry souriait. Mlle Vatnaz mangea presque à elle seule le buisson d’écrevisses, et les carapaces sonnaient sous ses longues dents. L’Ange, posée sur le tabouret du piano (seul endroit où ses ailes lui permissent de s’asseoir), mastiquait placidement, sans discontinuer.

  — “Quel fourchette !” répétait l’Enfant de chœur ébahi, “quelle fourchette !”

  Et la Sphinx buvait de l’eau-de-vie, criait à plein gosier, se démenait comme un démon. Tout à coup ses joues s’enflèrent, et, ne résistant plus au sang qui l’étouffait, elle porta sa serviette contre ses lèvres, puis la jeta sous la table.

  Frédéric l’avait vue.

  — “Ce n’est rien !”

  Et, à ses instances pour partir et se soigner, elle répondit lentement :

  — “Bah ! à quoi bon ? autant ça qu’autre chose ! la vie n’est pas si drôle !”

  Alors, il frissonna, pris d’une tristesse glaciale, comme s’il avait aperçu des mondes entiers de misè re et de désespoir, un réchaud de charbon près d’un lit de sangle, et les cadavres de la Morgue en tablier de cuir, avec le robinet d’eau froide qui coule sur leurs cheveux.

  Cependant, Hussonnet, accroupi aux pieds de la Femme-Sauvage, braillait d’une voix enrouée, pour imiter l’acteur Grassot :

  — “Ne sois pas cruelle, ô Celuta cette petite fête de famille est charmante ! Enivrez-moi de voluptés, mes amours ! Folichonnons ! folichonnons !”

  Et il se mit à baiser les femmes sur l’épaule. Elles tressaillaient, piquées par ses moustaches ; puis il imagina de casser contre sa tête une assiette, en la heurtant d’un petit coup. D’autres l’imitèrent — , les morceaux de faïence volaient comme des ardoises par un grand vent, et la Débardeuse s’écria :

  — “Ne vous gênez pas ! ça ne coûte rien ! Le bourgeois qui en fabrique nous en cadote !”

  Tous les yeux se portèrent sur Arnoux. Il répliqua :

  — “Ah ! sur facture, permettez !” tenant, sans doute, à passer pour n’être pas, ou n’être plus l’amant de Rosanette.

  Mais deux voix furieuses s’élevèrent :

  — “Imbécile !”

  — “Polisson !”

  — “A vos ordres !”

  — “Aux vôtres !”

  C’était le Chevalier moyen âge et le Postillon russe qui se disputaient ; celui-ci ayant soutenu que des armures dispensaient d’être brave, l’autre avait pris cela pour une injure. Il voulait se battre, tous s’interposaient, et le Capitaine, au milieu du tumulte, tâchait de se faire entendre.

  — “Messieurs, écoutez-moi ! un mot ! J’ai de l’expérience, messieurs !”

  Rosanette, ayant frappé avec son couteau sur un verre, finit par obtenir du silence ; et, s’adressant au Chevalier qui gardait son casque, puis au Postillon coiffé d’un bonnet à longs poils :

  — “Retirez d’abord votre casserole ! ça m’échauffe ! — et vous, là-bas, votre tête de loup. — Voulez-vous bien m’obéir, saprelotte Regardez donc mes épaulettes Je suis votre maréchale”

  Il s’exécutèrent, et tous applaudirent en criant — “Vive la Maréchale ! vive la Maréchale !” Alors, elle prit sur le poêle une bouteille de vin de Champagne, et elle le versa de haut, dans les coupes qu’on lui tendait. Comme la table était trop large, les convives, les femmes surtout, se portèrent de son côté, en se dressant sur la pointe des pieds, sur les barreaux des chaises, ce qui forma pendant une minute un groupe pyramidal de coiffures, d’épaules nues, de bras tendus, de corps penchés ; — et de longs jets de vin rayonnaient dans tout cela, car le Pierrot et Arnoux, aux deux angles de la salle, lâchant chacun une bouteille, éclaboussaient les visages. Les petits oiseaux de la volière, dont on avait laissé la porte ouverte, envahirent la salle, tout effarouchés, voletant autour du lustre, se cognant contre les carreaux, contre les meubles ; et quelques-uns, posés sur les têtes, faisaient au milieu des chevelures comme de larges fleurs.

  Les musiciens étaient partis. On tira le piano de l’antichambre dans le salon. La Vatnaz s’y mit, et, accompagnée de l’Enfant de chœur qui battait du tambour de basque, elle entama une contredanse avec furie, tapant les touches comme un cheval qui piaffe, et se dandinant de la taille, pour mieux marquer la mesure. La Maréchale entraîna Frédéric, Hussonnet faisait la roue, la Débardeuse se disloquait comme un clown, le Pierrot avait des façons d’orang-outang, la Sauvagesse, les bras écartés, imitait l’oscillation d’une chaloupe. Enfin tous, n’en pouvant plus, s’arrêtèrent ; et on ouvrit une fenêtre.

  Le grand jour entra, avec la fraîcheur du matin. Il y eut une exclamation d’étonnement, puis un silence. Les flammes jaunes vacillaient, en faisant de temps à autre éclater leurs bobèches ; des rubans, des fleurs et des perles jonchaient le parquet ; des taches de punch et de sirop poissaient les consoles ; les tentures étaient salies, les costumes fripés, poudreux ; les nattes pendaient sur les épaules ; et le maquillage, coulant avec la sueur, découvrait des faces blêmes, dont les paupières rouges clignotaient.

  La Maréchale, fraîche comme au sortir d’un bain, avait les joues roses, les yeux brillants. Elle jeta au loin sa perruque ; et ses cheveux tombèrent autour d’elle comme une toison, ne laissant voir de tout son vêtement que sa culotte, ce qui produisit un effet à la fois comique et gentil.

  La Sphinx, dont les dents claquaient de fièvre, eut besoin d’un châle.

  Rosanette courut dans sa chambre pour le chercher, et, comme l’autre la suivait, elle lui ferma la porte au nez, vivement.

  Le Turc observa, tout haut, qu’on n’avait pas vu sortir M. Oudry. Aucun ne releva cette malice, tant on était fatigué.

  Puis, en attendant les voitures, on s’embobelina dans les capelines et les manteaux. Sept heures sonnèrent. L’Ange était toujours dans la salle, attablée devant une compote de beurre et de sardines ; et la Poissarde, près d’elle, fumait des cigarettes, tout en lui donnant des conseils sur l’existence.

  Enfin, les fiacres étant survenus, les invités s’en allèrent. Hussonnet, employé dans une correspondance pour la province, devait lire avant son déjeuner cinquante-trois journaux la Sauvagesse avait une répétition à son théâtre, Pellerin un modèle, l’Enfant de chœur trois rendez-vous. Mais l’Ange, envahie par les premiers symptômes d’une indigestion, ne put se lever. Le Baron moyen âge la porta jusqu’au fiacre.

  — “Prends gard
e à ses ailes !” cria par la fenêtre la Débardeuse.

  On était sur le palier quand Mlle Vatnaz dit à Rosanette :

  — “Adieu, chère ! C’était très bien, ta soirée.”

  Puis se penchant à son oreille :

  — “Garde-le !”

  — “Jusqu’à des temps meilleurs”, reprit la Maréchale en tournant le dos, lentement.

  Arnoux et Frédéric s’en revinrent ensemble, comme ils étaient venus. Le marchand de faïence avait un air tellement sombre, que son compagnon le crut indisposé.

  — “Moi ? pas du tout !”

  il se mordait la moustache, fronçait les sourcils, et Frédéric lui demanda si ce n’était pas ses affaires qui le tourmentaient.

  — “Nullement !”

  Puis tout à coup :

  — “Vous le connaissiez, n’est-ce pas, le père Oudry ?”

  Et, avec une expression de rancune :

  — “Il est riche, le vieux gredin !”

  Ensuite, Arnoux parla d’une cuisson importante que l’on devait finir aujourd’hui, à sa fabrique. Il voulait la voir. Le train partait dans une heure. “Il faut cependant que j’aille embrasser ma femme.”

  — “Ah ! sa femme !” pensa Frédéric.

  Puis il se coucha, avec une douleur intolérable à l’occiput ; et il but une carafe d’eau, pour calmer sa soif.

  Une autre soif lui était venue, celle des femmes, du luxe et de tout ce que comporte l’existence parisienne. Il se sentait quelque peu étourdi, comme un homme qui descend d’un vaisseau ; et, dans l’hallucination du premier sommeil, il voyait passer et repasser continuellement les épaules de la Poissarde, les reins de la Débardeuse, les mollets de la Polonaise, la chevelure de la Sauvagesse. Puis deux grands yeux noirs, qui n’étaient pas dans le bal, parurent ; et légers comme des papillons, ardents comme des torches, ils allaient, venaient, vibraient, montaient dans la corniche, descendaient jusqu’à sa bouche. Frédéric s’acharnait à reconnaître ces yeux sans y parvenir. Mais déjà le rêve l’avait pris ; il lui semblait qu’il était attelé près d’Arnoux, au timon d’un fiacre, et que la Maréchale, à califourchon sur lui, l’éventrait avec ses éperons d’or.

 

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