Complete Works of Gustave Flaubert
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HOMBOURG : Un mot ! je possède un petit bidet cauchois, pas cher, et qui vous serait bien utile pour vos tournées électorales.
GRUCHET : Je les ferai à pied ; merci !
HOMBOURG : Une occasion, monsieur Gruchet !
GRUCHET : Des occasions comme celle-là, on les retrouve !
HOMBOURG : Je ne crois pas !
GRUCHET : Il m’est à présent, impossible...
HOMBOURG : A votre service ! (Il entre chez Rousselin)
MUREL : Pensez-vous que Rousselin eût fait cela ? Cet homme, qui tient une auberge, va vous déchirer près de ses pratiques. Vous venez de perdre, peut-être, cinquante voix. Je suis fatigué de vous soutenir.
GRUCHET : Du calme ! j’ai eu tort ! Admettons que je n’aie rien dit. C’est que vous veniez de m’agacer avec votre histoire de Rousselin, qui, d’abord, n’est peut-être pas vraie. De qui la tenez-vous ? A moins que lui-même... Ah ! c’est plutôt une farce de votre invention pour m’éprouver. (Rumeur dans la coulisse)
MUREL : Ecoutez donc !
GRUCHET : J’entends bien !
MUREL : Le bruit se rapproche.
DES VOIX, dans la coulisse : Gruchet ! Gruchet !
FELICITE, apparaissant à gauche : Monsieur, on vous cherche !
GRUCHET : Moi ?
FELICITE : Oui, venez tout de suite !
GRUCHET : Me voilà ! (Il sort précipitamment avec elle. - le bruit augmente)
MUREL, en s’en allant par la gauche : Tout ce tapage ! Qu’est-ce donc ? (Il sort)
Scène VII : Rousselin, puis Hombourg
ROUSSELIN, sortant de chez lui : Ah ! le peuple à la fin s’agite ! pourvu que ce ne soit pas contre moi !
TOUS, criant dans le café : Enfoncés, les bourgeois !
ROUSSELIN : Voilà qui devient inquiétant !
GRUCHET, passant au fond, et tâchant de se soustraire aux ovations : Mes amis, laissez-moi ! non ! vraiment !
TOUS : Gruchet ! Vive Gruchet ! notre député !
ROUSSELIN : Comment, député ?
HOMBOURG, sortant de chez Rousselin : Parbleu, puisque Bouvigny se retire. (La bande s’éloigne)
ROUSSELIN : Pas possible !
HOMBOURG : Mais oui, le ministère est changé. Le préfet donne sa démission ; et il vient d’écrire à Bouvigny, pour l’engager à faire comme lui, à se démettre ! (Il sort par où est sortie la bande)
ROUSSELIN : Eh bien, alors, il ne reste plus... (La main sur la poitrine pour dire : moi) Mais non ! il y a encore Gruchet ! (Rêvant) Gruchet ! (Apercevant Dodart qui entre) Que me voulez-vous ?
Scène VIII : Rousselin, Dodart
DODART : Je viens pour vous rendre un service.
ROUSSELIN : De la part d’un féal de M. le comte, cela m’étonne !
DODART : Vous apprécierez ma conduite, plus tard... M. de Bouvigny ayant retiré sa candidature...
ROUSSELIN, brusquement : Il l’a retirée ? c’est vrai ?
DODART : Oui... pour des raisons...
ROUSSELIN : Personnelles.
DODART : Comment ?
ROUSSELIN : Je dis : il a eu des raisons, voilà tout.
DODART : En effet ; et permettez moi de vous avertir d’une chose... capitale. Tous ceux qui s’intéressent à vous - je suis du nombre, n’en doutez pas - commencent à s’effrayer de la violence de vos adversaires !
ROUSSELIN : En quoi ?
DODART : Vous n’avez donc pas entendu les cris insurrectionnels que poussait la bande Gruchet ! Ce Catalina de village ! ...
ROUSSELIN, à part : Catalina de village... Jolie expression ! A noter !
DODART : Il est capable, Monsieur, de... capable de tout ) et d’abord, grâce à la démence du peuple, il deviendra peut-être un de nos tribuns.
ROUSSELIN, à part : C’est à craindre !
DODART : Mais les conservateurs n’ont pas renoncé à la lutte, croyez-le ! D’avance, leurs voix appartiennent à l’honnête homme qui offrirait des garanties. (Mouvement de Rousselin). Oh ! on ne lui demande pas de se poser en rétrograde ; seulement quelques concessions... bien simples.
ROUSSELIN : Eh ! c’est ce diable de Murel ! ...
DODART : Malheureusement, la chose est faite
ROUSSELIN, rêvant : Oui !
DODART : Comme notaire et comme citoyen, je gémis sur tout cela ! Ah ! c’était un beau rêve que cette alliance de la bourgeoisie et de la noblesse cimentée en vos deux familles ; et le comte me disait tout à l’heure, - vous n’allez pas me croire ? ..
ROUSSELIN : Pardon ! ... Je suis plein de confiance.
DODART : Il me disait, avec ce ton chevaleresque qui le caractérise : “Je n’en veux pas du tout à M. Rousselin...”
ROUSSELIN : Ni moi non plus, mon Dieu !
DODART : “Et je ne demande pas mieux, s’il n’y trouve point d’inconvénient...”
ROUSSELIN : Mais quel inconvénient ?
DODART : “Je ne demande pas mieux que de m’aboucher avec lui, dans l’intérêt du canton, et de la moralité publique.”
ROUSSELIN : Comment donc ? je le verrai avec plaisir !
DODART : Il est là ! (A la cantonade) Psitt ! Avancez !
Scène IX : les mêmes, le comte de Bouvigny
BOUVIGNY, saluant : Monsieur !
ROUSSELIN, regardant autour de lui : Je regarde si quelquefois...
BOUVIGNY : Personne ne m’a vu ! soyez sans crainte ! Et acceptez mes regrets sur...
ROUSSELIN : Il n’y a pas de mal...
DODART : A reconnaître ses fautes, n’est-ce pas ?
BOUVIGNY : Que voulez-vous, l’amour peut-être exagéré de certains principes....
ROUSSELIN : Mois aussi, Monsieur, j’honore les principes !
BOUVIGNY : Et puis la maladie de mon fils !
ROUSSELIN : Il n’est pas malade ; tantôt, ici même...
DODART : Oh ! fortement indisposé ! Mais il a l’énergie de cacher sa douleur. Pauvre enfant ! les nerfs ! tellement sensible !
ROUSSELIN, à part : Ah ! je devine ton jeu, à toi ; tu vas faire le mien ! (Haut) En effet, après avoir conçu des espérances...
BOUVIGNY : Oh ! certes !
ROUSSELIN : Il a dû être peiné...
BOUVIGNY : Désolé, Monsieur !
ROUSSELIN : De vous voir abandonner subitement cette candidature.
DODART, à part : Il se moque de nous !
ROUSSELIN : Lorsque vous aviez déjà un nombre de voix.
BOUVIGNY : J’en avais beaucoup !
ROUSSELIN, souriant : Pas toutes, cependant !
DODART : Parmi les ouvrier, peut-être, mais dans les campagnes, énormément !
ROUSSELIN : Ah ! si on comptait ! ...
BOUVIGNY : Permettez ! D’abord la commune de Bouvigny, où je réside, m’appartient, n’est-ce pas ? Ainsi que les villages de Saint Léonard, Valencourt, la Coudrette.
ROUSSELIN, vivement : Celui-là, non !
BOUVIGNY : Pourquoi ?
ROUSSELIN, embarrassé : Je croyais !... (A part) Murel m’avait donc trompé ?
BOUVIGNY : Je suis également certain de Grumesnil, Ypremesnil, les Arbois.
DODART, lisant une liste qu’il tire de son portefeuille : Châtillon, Colange, Heurtaux, Lenneval, Bahurs, Saint Filleul, Le Grand-Chêne, la Roche-Aubert, Fortinet !
ROUSSELIN, à part : C’est effroyable !
DODART : Manicamp, Dehaut, Lampérière, Saint-Nicaise, Vieville, Sirvin, Château-Régnier, la Chapelle, Lebarrois, Mont-Suleau.
ROUSSELIN, à part : Je ne savais donc pas la géographie de l’arrondissement !
BOUVIGNY : Sans compter que j’ai des amis nombreux dans les communes de...
ROUSSELIN, accablé : Oh ! je vous crois, Monsieur !
BOUVIGNY : Ces braves gens ne savent plus que faire ! Ils sont toujours à ma disposition, du reste, m’obéissant comme un seul homme ; - et si je leur disais... de voter pour... n’importe qui... pour vous, par exemple...
ROUSSELIN : Mon Dieu ! je ne suis pas d’une opposition tellement avancée...
BOUVIGNY
: Eh ! eh ! l’Opposition est quelquefois utile !
ROUSSELIN : Comme instrument de guerre, soit ! Mais il ne s’agit pas de détruire, il faut fonder !
DODART : Incontestablement, nous devons fonder !
ROUSSELIN : Aussi ai-je en horreur toutes ces utopies, ces doctrines subversives !... N’a-t-on pas l’idée de rétablir le divorce, je vous demande un peu ! Et la presse, il faut le reconnaître, se permet des excès...
DODART : Affreux !
BOUVIGNY : Nos campagnes sont infestées par un tas de livres !
ROUSSELIN : Elles n’ont plus personne pour les conduire ! Ah ! il y avait du bon dans la noblesse ; et là-dessus je partage les idées de quelques publicistes de l’Angleterre.
BOUVIGNY : Vos paroles me font l’effet d’une brise rafraîchissante ; et si nous pouvions espérer...
ROUSSELIN : Enfin, Monsieur le comte, (Mystérieusement) la Démocratie m’effraye ! Je ne sais par quel vertige, quel entraînement coupable...
BOUVIGNY : Vous allez trop loin ! ...
ROUSSELIN : Non ! j’étais coupable ; car je suis conservateur, croyez-le, et peut-être quelques nuances seulement...
DODART : Tous les honnêtes gens sont faits pour s’entendre.
ROUSSELIN, serrant la main de Bouvigny : Bien sûr, Monsieur le comte, bien sûr.
Scène X : les mêmes, Murel, Ledru, Onésime, des ouvriers.
MUREL : Dieu merci, je vous trouve sans vos électeurs, mon cher Rousselin !
BOUVIGNY, à part : Je les croyais fâchés !
MUREL : En voici d’autres ! Je leur ai démontré que les idées de Gruchet ne répondent plus aux besoins de notre époque ; et, d’après ce que vous m’avez dit ce matin, vous serez de ceux-ci mieux compris ; ce sont non seulement des républicains, mais des socialistes !
BOUVIGNY, faisant un bond : Comment, des socialistes !
ROUSSELIN : Il m’amène des socialistes !
DODART : Des socialistes ! Il ne faut pas que ma personnalité... (Il s’esquive)
ROUSSELIN, balbutiant : Mais...
LEDRU : Oui, citoyen ! Nous le sommes !
ROUSSELIN : Je n’y vois pas de mal !
BOUVIGNY : Et tout à l’heure vous déclamiez contre ces infamies !
ROUSSELIN : Permettez ! Il y a plusieurs manières d’envisager...
ONESIME, surgissant : Sans doute, plusieurs manières...
BOUVIGNY, scandalisé : Jusqu’à mon fils...
MUREL : Que venez-vous faire ici, vous ?
ONESIME : J’ai entendu dire que l’on se portait chez M. Rousselin, et je voudrais lui affirmer que je partage, à peu près... son système.
MUREL, à demi-voix : Petit intriguant !
BOUVIGNY : Je ne m’attendais pas, mon fils, à vous voir, devant l’auteur de vos jours, renier la foi de vos aïeux !
ROUSSELIN : Très bien !
LEDRU : Pourquoi très bien ? Parce que Monsieur est M. le comte ! (à Murel, désignant Rousselin) et à vous croire, il demandait l’abolition de tous les titres !...
ROUSSELIN : Certainement !
BOUVIGNY : Comment ? il demandait...
LEDRU : Mais oui !
BOUVIGNY : Ah ! c’est assez !
ROUSSELIN, voulant le retenir : Je ne peux pas rompre en visière brusquement. Beaucoup ne sont qu’égarés. Ménageons-les !
BOUVIGNY, très haut : Pas de ménagements, Monsieur ! On ne pactise point avec le désordre ; et je vous déclare net que je ne suis plus pour vous ! - Onésime ! (Il sort, son fils le suit)
LEDRU : Il était pour vous ? Nous savons à quoi nous en tenir ! Serviteur !
ROUSSELIN : Pour soutenir mes convictions, je vous sacrifie un ami de trente ans !
LEDRU : On n’a pas besoin de sacrifices ! Mais vous dites tantôt blanc, tantôt noir ; et vous m’avez l’air d’un véritable... blagueur ! Allons, nous autres, retournons chez Gruchet ! Venez-vous, Murel ?
MUREL : Dans une minute, je vous rejoins !
Scène XI : Rousselin, Murel
MUREL : Il faut convenir, mon cher, que vous me mettez dans une situation embarrassante !
ROUSSELIN : Si vous croyez que je n’y suis pas ?
MUREL : Saperlotte, il faudrait cependant vous résoudre ! Soyez d’un côté ou de l’autre ! Mais décidez-vous ! finissons-en !
ROUSSELIN : Pourquoi toujours ce besoin d’être emporte-pièce, exagéré ! Est-ce qu’il n’y a pas dans tous les partis quelque chose de bon à prendre ?
MUREL : Sans doute, leurs voix !
ROUSSELIN : Vous avez un esprit, ma parole d’honneur ! une délicatesse ! ... Ah ! je ne m’étonne pas qu’on vous aime !
MUREL : Moi ? et qui donc ?
ROUSSELIN : Innocent ! une demoiselle, du nom de Louise.
MUREL : Quel bonheur ! merci ! merci ! Maintenant, je vais m’occuper de vous, gaillardement ! J’affirmerai qu’on ne vous a pas compris. Une dispute de mots, une erreur. Quant à l’Impartial...
ROUSSELIN : Là, vous êtes le maître !
MUREL : Pas tout à fait ! Nous dépendons de Paris, qui donne le mot d’ordre. Vous deviez même être éreinté !
ROUSSELIN : Décommandez l’éreintement !
MUREL : Sans doute. Mais, comment, tout de suite, prêcher à Julien le contraire de ce qu’on lui a dit ?
ROUSSELIN : Que faire ?
MUREL : Attendons donc ! Il y a chez vous quelqu’un dont peut-être l’influence...
ROUSSELIN : Qui cela ?
MUREL : Miss Arabelle ! D’après certaines paroles qu’elle m’a dites, j’ai tout lieu de croire que ce jeune poète l’intéresse...
ROUSSELIN, riant : La pièce de vers serait-elle pour l’Anglaise ?
MUREL : Je ne connais pas les vers, mais je crois qu’ils s’aiment.
ROUSSELIN : J’en étais sûr ! Jamais de la vie je ne me trompe ! Du moment que ma fille n’est pas en jeu, je ne risque rien ; et je me moque pas mal, après tout, si... Il faut que j’en parle à ma femme. Elle doit être là, précisément.
MUREL : Moi, pendant ce temps-là, je vais essayer de ramener ceux que votre tiédeur philosophique a un peu refroidis.
ROUSSELIN : N’allez pas trop loin, cependant, de peur que Bouvigny, de son côté...
MUREL : Ah ! il faut bien que je rebadigeonne votre patriotisme ! (Il sort)
ROUSSELIN, seul : Tâchons d’être fin, habile, profond !
Scène XII : Rousselin, Mme Rousselin, Miss Arabelle
ROUSSELIN, à Arabelle : Ma chère enfant, - car mon affection toute paternelle me permet de vous appeler ainsi, - j’attends de vous un grand service ; il s’agirait d’une démarche auprès de M. Julien !
ARABELLE, vivement : Je peux la faire !
MME ROUSSELIN, avec hauteur : Ah ! comment cela ?
ARABELLE : Il fume son cigare tous les soirs sur cette promenade. Rien de plus facile que de l’aborder.
MME ROUSSELIN : Vu les convenances, ce serait plutôt à moi...
ROUSSELIN : En effet, c’est plutôt à une femme mariée..
ARABELLE : Mais je veux bien !
MME ROUSSELIN : Je vous le défends, Mademoiselle !
ARABELLE : J’obéis, Madame ! (A part, en remontant) Qu’a-t-elle donc à vouloir m’empêcher ? ... Attendons ! (Elle disparaît)
MME ROUSSELIN : Tu as parfois, mon ami, des idées singulières ; charger l’institutrice d’une chose pareille ! car c’est pour ta candidature, j’imagine ?
ROUSSELIN : Sans doute ! Et moi, je trouvais que miss Arabelle, précisément à cause de son petit amour, dont je ne doute plus, pouvait fort bien...
MME ROUSSELIN : Ah ! tu ne la connais pas. C’est une personne à la fois violente et dissimulée, cachant sous des airs romanesques une âme qui l’est fort peu ; et je sens qu’il faut se méfier d’elle...
ROUSSELIN : Tu as peut-être raison ? Voici Julien ! Tu comprends, n’est-ce pas, tout ce qu’il faut lui dire ?
MME ROUSSELIN : Oh ! je saurai m’y prendre !
ROUSSELIN : Je me fie à toi ! (Rousselin s’éloigne, après av
oir salué Julien. La nuit est venue)
Scène XIII : Mme Rousselin, Julien
JULIEN, apercevant Mme Rousselin : Elle ! (Il jette son cigare) Seule ! Comment faire ? (Saluant) Madame !
MME ROUSSELIN : M. Duprat, je crois ?
JULIEN : Hélas oui, Madame.
MME ROUSSELIN : Pourquoi hélas ?
JULIEN : J’ai le malheur d’écrire dans un journal qui doit vous déplaire.
MME ROUSSELIN : Par sa couleur politique, seulement.
JULIEN : Si vous saviez combien je méprise les intérêts qui m’occupent !
MME ROUSSELIN : Mais les intelligences d’élite peuvent s’appliquer à tout sans déchoir. Votre dédain, il est vrai, n’a rien de surprenant. Quand on écrit des vers aussi... remarquables...
JULIEN : Ce n’est pas bien ce que vous faites là, Madame ! Pourquoi railler ?
MME ROUSSELIN : Nullement ! Malgré mon insuffisance, peut-être, je vous crois un avenir...
JULIEN : Il est fermé par le milieu où je me débats. L’art pousse mal sur le terroir de la province. Le poète qui s’y trouve et que la misère oblige à certains travaux est comme un homme qui voudrait courir dans un bourbier. Un ignoble poids, toujours collé à ses talons, le retient ; plus il s’agite, plus il enfonce. Et cependant, quelque chose d’indomptable proteste et rugit au dedans de vous ! Pour se consoler de ce que l’on fait, on rêve orgueilleusement à ce que l’on fera ; puis les mois s’écoulent, la médiocrité ambiante vous pénètre, et on arrive doucement à la résignation, cette forme tranquille du désespoir.
MME ROUSSELIN : Je comprends, et je vous plains !
JULIEN : Ah ! Madame, que votre pitié est douce, bien qu’elle augmente ma tristesse !
MME ROUSSELIN : Courage ! le succès, plus tard, viendra.
JULIEN : Dans mon isolement, est-ce possible ?
MME ROUSSELIN : Au lieu de fuir le monde, allez vers lui ! Son langage n’est pas le vôtre, apprenez-le ! Soumettez-vous à ses exigences. La réputation et le pouvoir se gagnent par le contact ; et, puisque la société est naturellement à l’état de guerre, rangez-vous dans le bataillon des forts, du côté des riches, des heureux ! Quant à vos pensées intimes, n’en dites jamais rien, par dignité et par prudence. Dans quelques temps, lorsque vous habiterez Paris, comme nous...
JULIEN : Mais je n’ai pas le moyen d’y vivre, Madame !