Les chasseurs de mammouths

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Les chasseurs de mammouths Page 91

by Jean M. Auel


  Lorsqu’Ayla jeta un coup d’œil autour d’elle, elle faillit céder à la panique et fuir pour ne plus voir ces gens qui la regardaient avec un tel dégoût. Elle ferma un instant les yeux et prit une profonde inspiration. Puis elle releva fièrement la tête et défia du regard ceux qui l’entouraient. De quel droit disaient-ils que son fils n’était pas un humain ? Du coin de l’œil, elle aperçut Jondalar qui se tenait à côté d’elle. Sa présence la rassura.

  Puis deux autres hommes s’approchèrent. Elle tourna la tête pour sourire à Mamut et à Ranec. Puis Nezzie à son tour vint la rejoindre, et Talut, et même Frébec. En un rien de temps, l’ensemble du Camp du Lion se trouva à ses côtés.

  — Vous vous trompez, dit Mamut à la foule, d’une voix si puissante qu’on avait du mal à croire qu’elle puisse appartenir à un homme aussi vieux. Les Têtes Plates ne sont pas des animaux. Ils sont humains et ce sont des enfants de la Mère au même titre que vous. Moi aussi, j’ai vécu chez eux un certain temps et j’ai chassé avec eux. Leur guérisseuse a soigné mon bras et, grâce à eux, j’ai découvert ma vocation. La Mère ne mélange pas les esprits. Il n’y a pas de cheval-loup ou de cerf-lion. Les gens du Clan sont différents de nous, mais cette différence est insignifiante. Des enfants comme Rydag ou le fils d’Ayla n’auraient jamais pu naître s’ils n’avaient pas été humains, eux aussi. Les monstres n’existent pas. Ce sont simplement des enfants.

  — Je me moque de ce que tu dis, Vieux Mamut ! s’écria la femme enceinte. Je ne veux pas mettre au monde un Tête Plate ou un esprit mêlé. Si cette femme en a eu un, cet esprit peut encore très bien rôder autour d’elle.

  — Tu n’as rien à craindre d’Ayla ! répliqua Mamut. L’esprit qui a été choisi pour ton enfant est déjà en toi. Il est trop tard pour y changer quoi que ce soit. Ayla elle-même n’a pas attiré l’esprit d’un Tête Plate en elle pour avoir un enfant. C’est la Mère qui en a décidé ainsi. Vous savez comme moi que l’esprit d’un homme n’est jamais bien loin de l’homme lui-même. Ayla a grandi au sein du Clan. Quand elle est devenue une femme, elle vivait encore avec eux. Le jour où Mut a décidé de lui donner un enfant, Elle ne pouvait choisir que parmi les hommes avec lesquels elle vivait, et c’étaient tous des hommes du Clan. L’esprit qu’Elle a choisi était celui d’un homme du Clan. Ce qui est normal. Mais ici, il n’y a pas d’homme du Clan, que je sache !

  — Que se passerait-il, Vieux Mamut, s’il y en avait un ? demanda une des femmes.

  — Pour que la Mère choisisse son esprit, il faudrait qu’il soit tout près d’une femme, qu’il partage son foyer. Même si les gens du Clan sont humains, il y a néanmoins quelques différences. Il n’est pas facile de mêler deux esprits qui ne sont pas tout à fait semblables. Quand Ayla a voulu un enfant, comme elle n’était entourée que par des hommes du Clan, la Mère n’a pas eu le choix. Mais ici, les Mamutoï sont très nombreux, et si une femme devait avoir un enfant, la Mère commencerait par choisir l’esprit d’un Mamutoï.

  — C’est toi qui le dis, vieil homme ! lança un des hommes. Mais je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Je préfère que ma femme ne s’approche pas d’elle.

  — Pas étonnant qu’elle ait le don avec les animaux ! lança Chaleg. C’est facile quand on a été élevée par des animaux.

  — Ça veut peut-être dire aussi que leurs pouvoirs magiques sont supérieurs aux nôtres, rétorqua Frébec.

  Son intervention provoqua un certain malaise dans l’assistance.

  — Je l’ai entendue dire que cela n’avait rien de magique, que tout le monde pouvait en faire autant, rappela le mamut du Camp de Chaleg.

  — Pourquoi personne n’y a-t-il pensé avant ? lui demanda Frébec.

  — Tu es un mamut. Si c’est à la portée de tout le monde, pourquoi ne montes-tu pas toi aussi à cheval ? Comment se fait-il que tu n’aies pas, toi aussi, un loup qui t’obéisse ? Pourquoi ne siffles-tu pas comme Ayla afin que les oiseaux descendent du ciel pour venir manger dans ta main ?

  — Pourquoi prends-tu son parti, Frébec ? lui demanda Chaleg. Au lieu de défendre ta propre famille et ton propre Camp ?

  — J’aimerais bien qu’on me dise à quel Camp j’appartiens ? A celui qui m’a rejeté ou à celui qui m’a accueilli ? Mon foyer est celui de la Grue. Mon Camp est celui du Lion. Ayla a vécu près de nous pendant tout l’hiver. Elle était là quand Bectie est née et la fille de mon foyer n’est pas un esprit mêlé. Et si Ayla n’avait pas été là, jamais elle n’aurait vécu.

  En entendant Frébec, Jondalar sentit une boule au fond de sa gorge. Il avait beau dire qu’il appartenait maintenant au Camp du Lion, il fallait un sacré courage pour s’opposer à son propre cousin, ses propres parents et le Camp où on était né. Jondalar avait du mal à le reconnaître. Lui qui, au début, l’avait accusé d’être un fauteur de troubles, de quel droit lui avait-il jeté la pierre ? Qui avait eu peur de ce que les gens diraient si Ayla parlait de son passé ? Qui avait craint d’être rejeté par sa famille et par son peuple s’il prenait le parti d’Ayla ? Frébec venait de lui montrer à quel point il pouvait être lâche. Frébec et Ayla.

  Quand il l’avait vue surmonter sa panique et leur tenir tête, il s’était senti fier d’elle. Puis le Camp du Lion s’était rangé à ses côtés, ce qui l’avait beaucoup surpris. Ceux qui comptaient, c’étaient ceux qui vous appréciaient.

  Jondalar avait de bonnes raisons d’être fier d’Ayla et du Camp du Lion. Mais il en oubliait qu’il avait été le premier à se précipiter à ses côtés.

  34

  Le Camp du Lion revint au Camp de la Massette afin de discuter de cette crise inattendue. La suggestion initiale de s’en aller sur-le-champ fut rapidement abandonnée. Après tout, ils étaient mamutoï et c’était la Réunion d’Été. Tulie s’était arrêtée au Camp de la Féminité pour y prendre Latie afin qu’elle puisse assister à la discussion et aussi pour lui dire qu’elle risquait maintenant d’entendre des réflexions désobligeantes au sujet d’Ayla ou du Camp du Lion. Elle lui avait demandé si elle désirait repousser les Rites de la Féminité. Latie avait pris la défense d’Ayla d’une manière véhémente. Puis elle avait annoncé qu’elle regagnerait le Camp réservé à la cérémonie et aux rites et qu’elle ne laisserait personne dire du mal d’Ayla ou du Camp du Lion.

  Ensuite, Tulie avait demandé à Ayla pourquoi elle n’avait pas parlé de son fils plus tôt. Celle-ci lui avait répondu qu’elle n’aimait pas en parler car cela lui faisait trop de peine et Nezzie était intervenue pour dire qu’elle était au courant depuis le début. Mamut avait reconnu que, lui aussi, il le savait. Même si la Femme Qui Ordonne regrettait qu’Ayla ne s’en soit pas ouverte à elle, elle ne lui reprochait rien. Si elle avait été au courant, cela aurait-il changé quoi que ce soit à ce qu’elle pensait d’Ayla ? Elle aurait moins surestimé son statut et sa valeur potentiels et aurait certainement rabaissé ses prétentions. Mais son attitude en aurait-elle été modifiée pour autant ? Cela changeait-il vraiment quelque chose à ce qu’était Ayla ?

  Rydag était bouleversé et déprimé et Nezzie eut beau faire, elle ne réussit pas à le consoler. Il ne voulait pas manger, refusait de sortir et se taisait, acceptant tout juste de répondre aux questions. Il restait assis sur ses fourrures dans l’endroit le plus sombre de la tente en serrant Loup contre lui.

  Quand Ayla s’approcha de lui, Loup leva la tête et remua la queue.

  — Est-ce que je peux m’asseoir à côté de toi, Rydag ? lui demanda-t-elle.

  Il hocha la tête en signe d’assentiment. Ayla s’installa à côté de lui et commença à lui parler. Elle parlait à haute voix et accompagnait automatiquement ses paroles de signes, tout en se disant qu’il faisait tellement sombre à cet endroit que Rydag devait avoir du mal à voir ses gestes. Pouvoir s’exprimer avec des mots présentait un réel avantage : on ne parlait pas mieux qu’avec des signes et des gestes, mais on n’était pas limité par l’impossibilité de voir ce qu’on était en train de vous dire.

  Elle retrouvait là la même différence qu’entre le
s armes de chasse du Clan, les épieux qui permettaient seulement de porter un coup et les sagaies que l’on pouvait lancer à distance. Avec ces deux types d’armes, on ramenait de la viande, mais la seconde offrait beaucoup plus de possibilités. Ayla avait constaté à maintes reprises à quel point les gestes et les signes pouvaient être utiles, tout spécialement quand on devait se communiquer un secret ou avoir une conversation intime, mais elle trouvait que parler avec des mots était infiniment supérieur. Le langage verbal permettait de s’adresser à quelqu’un situé hors de votre vue soit éloigné, soit caché par des obstacles naturels –, ou d’imposer le silence à une large assemblée. On pouvait très bien s’adresser à quelqu’un qui avait le dos tourné et parler tout en ayant soi-même les mains occupées. Et on pouvait même chuchoter dans l’obscurité.

  Ayla resta un long moment assise à côté de Rydag, sans lui poser de questions et sans parler, simplement pour lui tenir compagnie. Puis elle se mit à lui parler du Clan.

  — Cette Réunion me rappelle un peu le Rassemblement du Clan, lui dit-elle. Ici, même si je suis comme tout le monde, je me sens malgré tout différente. Là-bas, j’étais vraiment différente : plus grande que tous les hommes... une femme grande et laide. Quand nous sommes arrivés au Rassemblement, cela a été vraiment horrible. A cause de moi, ils ne voulaient pas laisser le clan de Brun s’installer. Ils disaient que je ne faisais pas partie du Clan. Mais Creb leur a dit que j’en faisais partie et ils n’ont pas osé le contrer car il était mog-ur. Heureusement pour lui, Durc n’était qu’un bébé. Tous les gens pensaient qu’il était difforme et le dévisageaient. Tu connais ça, Rydag ! Mais Durc n’était pas difforme. Il tenait à la fois du Clan et de moi, un mélange des deux, comme toi. Ou plutôt comme Ura. La mère d’Ura faisait partie du Clan.

  — Tu dis avant : Ura s’unira un jour avec Durc ? demanda Rydag en se tournant vers le feu pour qu’Ayla puisse voir ses gestes.

  — Oui. La mère d’Ura était venue me voir et c’était d’accord. Elle était heureuse d’avoir trouvé un garçon qui était comme sa fille. Elle craignait qu’Ura ne puisse jamais avoir de compagnon. Pour être tout à fait sincère, moi, je ne m’étais pas tellement souciée de ça. Je m’estimais déjà heureuse que Durc ait été accepté par le Clan.

  — Durc est du Clan ? demanda Rydag par gestes. Il est esprit mêlé, mais du Clan ?

  — Brun l’avait accepté dans le Clan et Creb lui avait donné un nom. Broud lui-même ne pouvait pas lui retirer ça. Et lui mis à part, tout le monde l’aimait. Même Oga, la compagne de Broud. C’est elle qui l’a nourri au sein quand j’ai perdu mon lait, en même temps que Grev, son fils. Ils ont été élevés ensemble comme deux frères et ils s’entendaient très bien. Vieux Grod avait fabriqué un petit épieu pour Durc, juste à sa taille, continua Ayla en souriant à ce souvenir. Mais celle qui l’aimait le plus, c’était Uba, ma sœur, l’équivalent de Rugie pour toi. C’est elle qui est la mère de Durc maintenant. Je lui ai confié mon fils quand Broud m’a obligée à quitter le Clan. Je suppose qu’il est un peu différent d’eux. Mais il fait partie du Clan.

  — Je hais ici, intervint Rydag, les yeux brillants de colère. Je souhaite être Durc et vivre avec le Clan.

  Sa véhémence l’effraya et, bien après qu’elle eut réussi à le faire manger et qu’elle l’eut mis au lit, elle continua à penser à lui.

  Durant toute la soirée, Ranec remarqua qu’elle n’était pas à ce qu’elle faisait. Elle s’interrompait soudain en plein milieu d’une activité pour regarder dans le vide ou alors son front se plissait sous l’effet de la réflexion. Ranec se doutait que ces pensées devaient lui peser et il aurait bien aimé pouvoir la réconforter.

  Cette nuit-là, tout le monde décida de dormir au Camp de la Massette et quand vint le moment de se coucher, il y avait foule à l’intérieur de la tente. Ranec attendit qu’Ayla soit sur le point de se glisser à l’intérieur de ses fourrures de couchage pour s’approcher d’elle.

  — Veux-tu partager mes fourrures cette nuit, Ayla ? lui proposa-t-il. Voyant qu’elle fermait les yeux et fronçait les sourcils, il ajouta aussitôt :

  — Je ne veux pas dire pour les Plaisirs, à moins que tu en aies envie. Je sais que tu as eu une journée difficile.

  — Elle l’a été encore plus pour le Camp du Lion.

  — Je n’en suis pas sûr. Mais ça n’a pas d’importance. Je voudrais t’offrir un peu de réconfort : mes fourrures pour que tu n’aies pas froid, et mon amour pour que tu ne te sentes pas trop seule.

  Ayla hocha la tête et se glissa à côté de Ranec. Cela ne suffit pas pour qu’elle s’endorme et elle n’arrêtait pas de bouger. Ranec s’en rendit compte.

  — Qu’est-ce qui t’inquiète ? lui demanda-t-il. Veux-tu en parler avec moi ?

  — Je pense à Rydag et à mon fils. Mais je ne suis pas certaine que le moment soit venu d’en parler. J’ai encore besoin de réfléchir à tout ça.

  — Il vaudrait peut-être mieux que tu retournes dans tes fourrures ?

  — Je sais que tu désires m’aider, Ranec. Et ça me fait du bien. Plus encore que tu ne pourrais l’imaginer. Pour moi, c’est très important que tu sois venu me rejoindre pour prendre ma défense. Et j’éprouve aussi une profonde reconnaissance envers le Camp du Lion. Tout le monde a été si gentil pour moi, si merveilleux. Trop, peut-être... J’ai appris tellement de choses grâce à vous et j’étais si fière d’être une Mamutoï, de pouvoir dire que c’était mon peuple. Je m’imaginais que les Autres – ceux que moi j’appelle les Autres – étaient tous comme ceux du Camp du Lion. Mais je me rends compte maintenant que je m’étais trompée. Comme dans le Clan, la plupart des gens sont gentils, mais pas tous. Et même ceux qui le sont ont des idées bien arrêtées dans certains domaines. J’ai besoin de réfléchir aux projets que j’avais faits...

  — Et pour réfléchir, tu seras mieux dans ta propre couche. Vas-y, Ayla. De toute façon, tu ne seras pas très loin de moi.

  Jondalar avait observé de loin toute la scène et quand il vit qu’Ayla quittait la couche de Ranec pour se glisser dans la sienne, il éprouva un curieux mélange de sentiments. Il était soulagé à l’idée que cette nuit-là il ne grincerait pas des dents en entendant le bruit qu’ils faisaient alors qu’ils partageaient les Plaisirs. Mais il se sentait aussi désolé pour Ranec. S’il avait été à sa place, il aurait voulu serrer Ayla dans ses bras pour la consoler et aurait été peiné de voir qu’elle préférait dormir seule.

  Lorsque Ranec se fut endormi et que tout fut silencieux à l’intérieur de la tente, Ayla se leva sans bruit, enfila une légère pelisse pour se protéger du froid nocturne et sortit dehors, dans la nuit étoilée. Aussitôt, Loup s’approcha d’elle. Elle se dirigea alors vers l’abri des chevaux. Whinney salua son arrivée en soufflant doucement et Rapide hennit à son approche. Ayla les caressa, les gratta, leur parla avec des gestes. Puis elle passa ses bras autour de l’encolure de Whinney et serra la jument contre elle.

  Combien de fois déjà Whinney avait-elle été l’amie dont elle avait besoin ? Et que penserait le Clan en voyant ses amis ? Deux chevaux et un loup ! Mais même si la présence des animaux la réconfortait, elle avait néanmoins l’impression qu’il lui manquait quelque chose. Pas quelque chose : quelqu’un. L’homme qu’elle désirait tant. Et pourtant, il ne l’avait pas abandonnée. Il avait été le premier à s’approcher d’elle. Avant même que le Camp du Lion prenne sa défense. Surgi de nulle part, Jondalar s’était soudain trouvé à ses côtés, prêt à la défendre contre tous. Malgré le dégoût qu’elle leur inspirait. Cela avait été encore pire qu’au Rassemblement du Clan. Cette fois-ci, ce n’était pas parce qu’elle était simplement différente d’eux. Ils avaient peur d’elle et la haïssaient. Jondalar l’avait prévenue et il avait essayé de l’y préparer lorsqu’ils vivaient ensemble dans la vallée. Mais même si elle avait vraiment su ce qui l’attendait, cela n’aurait rien changé. Elle ne les aurait pas laissés s’acharner sur Rydag ou dire du mal de son fils.

  Ayla n’était pas seule �
� ne pas trouver le sommeil. Jondalar était dans le même cas. Il l’avait vue se lever et, debout à l’entrée de la tente, il la regardait de loin. Ce n’était pas la première fois qu’il la voyait serrer Whinney dans ses bras. Il était content qu’elle puisse se consoler avec les animaux, mais il souffrait de ne pas être à la place de la jument. Malheureusement, il était trop tard : elle ne voulait plus de lui. Et il ne pouvait pas le lui reprocher. Brusquement, il voyait clair en lui-même et ses propres actions lui apparaissaient sous un nouveau jour : il avait été l’artisan de sa propre perte. Au début, il avait voulu se montrer beau joueur et la laisser choisir entre Ranec et lui. Mais ce n’était qu’un prétexte. En réalité, il s’était détourné d’elle parce qu’il crevait de jalousie. Comme il souffrait, il avait voulu la faire souffrir à son tour.

  Reconnais qu’il n’y avait pas que ça, se dit-il. Même si tu souffrais, tu aurais dû penser à la manière dont elle avait été élevée. Pour elle, le fait que tu sois jaloux ne signifiait strictement rien. Quand elle a rejoint la couche de Ranec cette nuit-là, elle se comportait seulement en bonne femme du Clan. C’était ça le problème : son passé au sein du Clan. Tu en avais honte. Tu avais honte de l’aimer. Tu craignais de devoir affronter une scène comme celle qui a eu lieu aujourd’hui. Tu ne savais pas si tu supporterais qu’on la traite ainsi. Tu avais beau dire que tu l’aimais, tu n’étais pas certain que tu prendrais son parti. Ce qui est honteux, ce n’est pas de l’aimer comme tu l’aimes, mais ta lâcheté. Et maintenant, il est trop tard. Elle n’a plus besoin de toi. Elle est assez forte pour se défendre toute seule et tout le Camp du Lion est venu à sa rescousse. Non seulement elle n’a pas besoin de toi, mais tu ne la mérites pas.

  Finalement, comme il faisait froid, Ayla se décida à rentrer. Elle jeta un coup d’œil à l’endroit où était couché Jondalar : il était allongé sur le côté, la tête tournée vers la paroi de la tente, et elle ne put voir son visage. Au moment où elle se glissait dans sa couche, Ranec tendit la main vers elle dans son sommeil. Ayla savait qu’il l’aimait. Et elle aussi, elle l’aimait à sa manière. Elle resta étendue sans bouger à écouter la respiration régulière de Ranec. Au bout d’un certain temps, celui-ci se retourna et sa main disparut.

 

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