Sexe, Meurtres et Cappuccino

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Sexe, Meurtres et Cappuccino Page 8

by Kyra Davis


  Oh, non. J’étais tombée sur le médium de service. Et si je me contentais de me concentrer sur les événements des dernières semaines ? Il pourrait y piocher ce qui l’intéresserait, et on gagnerait du temps ?

  — Mademoiselle Katz, vous m’entendez ?

  Tout compte fait, il n’était pas aussi bon médium que ça. Tant mieux.

  — Il y a quelque temps, on m’a envoyé une lettre. Tapée à la machine, pas d’adresse au dos de l’enveloppe. Elle ne contenait qu’une ligne. On récolte ce qu’on sème.

  Gorman griffonna quelques mots sur son rapport.

  — Hu-hum. Il faudra nous la montrer.

  — C’est-à-dire que… je l’ai brûlée.

  — C’est malin.

  — Je ne pouvais pas deviner que j’en aurais besoin.

  Je réfléchis rapidement. Ce Gorman n’était peut-être pas l’inspecteur Colombo, mais il devait pouvoir m’aider à y voir clair. A condition que je lui donne le maximum d’informations possible. Après tout, il ne s’agissait que de m’asseoir sur ma fierté. Au point où elle en était…

  — J’écris des romans policiers.

  — Hu-hum.

  — Jeudi dernier, le jour du meurtre de Susan Lee, une de mes voisines, j’ai reçu cinq coups de fil anonymes. La personne n’a jamais parlé. Il y avait un silence, puis elle raccrochait.

  — Et depuis, pas d’autres appels ?

  — Non.

  — Hu-hum…

  — Quand je suis rentrée chez moi ce soir-là, après avoir assisté à un vernissage à la Galerie Sussman, j’ai trouvé un verre brisé.

  — Où ?

  — Sur le carrelage de ma cuisine.

  — Vous n’avez pas d’animal de compagnie ?

  — Si, un chat.

  — Hu-hum…

  — Sauf que le verre se trouvait au milieu de la pièce. La cuisine n’est pas très grande, mais je vois mal comment M. Katz aurait pu l’envoyer aussi loin du plan de travail.

  — M. Katz ?

  — Mon chat.

  — Hu-hum…

  — Et c’est là que ça devient intéressant. Dans mon second roman, Sex, Drugs & Murder, mon héroïne, Alicia Bright, reçoit des coups de fil anonymes et trouve un verre cassé dans sa cuisine.

  Je m’adossai à mon fauteuil, attendant la réaction de l’agent Gorman.

  — Hu-hum…

  Comment, hu-hum ? C’était tout ?

  — Je sais, dis-je dans un soupir de lassitude. Les verres se cassent tout le temps. C’est pour cela que je n’ai pas appelé la police.

  — Sage décision.

  — Maintenant, il y a cette histoire de voiture. Dans mon livre, la voiture de Kitty, la colocataire d’Alicia, subit le même sort que la mienne. Le méchant, Jeremy Spaulding, sait que Kitty détient une cassette vidéo prouvant que son père est impliqué dans un scandale policier. Le père de Kitty est producteur de films X.

  — Hu-hum…

  — Ecoutez, le plus simple, ce serait peut-être que vous lisiez le bouquin, non ?

  L’agent Gorman me jeta un regard vide. Apparemment, ma suggestion ne méritait même pas un hu-hum.

  — Là où je veux en venir, c’est que depuis quelques jours, je vis des événements qui semblent tout droit tirés de mon livre. Mon existence est devenue Sex, Drugs & Murder !

  Cette fois-ci, ce fut au tour de Gorman de s’adosser dans son fauteuil. Je le vis joindre ses doigts et froncer les sourcils, pendant qu’il s’absorbait dans un silence concentré. Enfin, après ce qui me sembla une éternité, il croisa mon regard. Il avait élaboré une théorie, j’en aurais mis ma main au feu. Je me penchai en avant, impatiente d’entendre son hypothèse.

  — Vous êtes sûre que vous ne vous droguez pas ?

  6

  Avant de le connaître, elle avait toujours été persuadée qu’on ne pouvait pas être à la fois sexy et odieusement insupportable.

  Sex, Drugs & Murder

  Epuisée et découragée, je m’assis au pied des marches de l’immeuble où habitait Darinsky pour l’attendre. Apparemment, il m’avait fallu moins de temps pour revenir à pied du commissariat qu’il ne lui en fallait pour trouver une place pour garer mon épave. Douchée par la froideur de Gorman, je préférais ne pas avouer à Darinsky que la destruction de ma voiture ressemblait point par point à celle de la voiture de Kitty, dans mon roman. Il ne s’agissait que d’une coïncidence… Du moins, je tentai de m’en persuader.

  Je massai mes tempes douloureuses. J’avais besoin d’une bonne dose d’aspirine… ou d’un Bloody Mary bien tassé. Et comme si cela ne suffisait pas, je portais du noir et je n’avais pas eu le temps de me maquiller. Quitte à jouer les demoiselles en détresse, j’aurais préféré être une demoiselle attirante. Pas une pauvre fille aux yeux cernés et aux cheveux en bataille.

  — Vous allez bien ?

  Une fois de plus, je n’avais pas entendu Darinsky s’approcher.

  — Où êtes-vous garé ?

  — Plus haut, vers Grace Cathedral.

  — C’est à l’autre bout de la ville !

  — Huit rues, rectifia Darinsky. Vous feriez mieux de louer un garage.

  — Je ferais mieux de boire quelque chose. J’ai mal à la tête.

  — De l’alcool ? C’est votre méthode pour soigner la migraine ? Original.

  — Je vous en prie, Darinsky, je ne suis pas d’humeur à plaisanter. Ma voiture est inutilisable, les flics me prennent pour une camée et je n’ai pas de rouge à lèvres.

  Il s’agenouilla près de moi.

  — Pour le rouge à lèvres, je n’ai pas de solution à vous proposer. Pour la voiture, il vous suffira d’appeler votre compagnie d’assurance dès lundi matin. Pour la police… ils s’apercevront bien que vous ne vous droguez pas.

  Il me scruta longuement du regard.

  — Vous ne vous droguez pas, c’est bien sûr ?

  Puis, levant la main d’un geste apaisant :

  — C’est bon, je plaisantais. Venez, allons boire une bière.

  — Je veux un Bloody Mary.

  — D’accord, un Bloody Mary.

  — Et de l’aspirine.

  — Pas de problème. Vous connaissez un bar qui vende des antidouleurs et du maquillage ?

  — Je ferais mieux de passer chez moi prendre de l’aspirine et du rouge à lèvres, mais vous êtes sur la bonne piste. Il ne restera qu’un problème à résoudre.

  — Lequel ?

  — A moins que vous n’ayez acheté une voiture depuis la dernière fois que je vous ai vu, nous sommes un peu courts, question moyen de transport.

  — Je n’ai pas de voiture, mais j’ai un deux-roues.

  Je refoulai un éclat de rire nerveux.

  — Vous voulez dire… un vélo ?

  — Je veux dire une moto, corrigea Darinsky d’un ton pincé. En fait, je possède une Harley.

  A ces mots, je bondis sur mes pieds.

  — Une Harley Davidson ? Vous avez acheté une Harley Davidson ?

  — Que croyez-vous ? Je ne l’ai pas volée.

  — Où est-elle ?

  — Vous ne l’avez pas vue ? Je croyais que les femmes possédaient un sixième sens pour ce genre d’engins ?

  Je parcourus la rue d’un regard impatient. Elle était là, juste de l’autre côté, chromes rutilants et selle de cuir noir. Un rêve de biker.

  — C’est celle-là ?

  — Ah, tout de même. Attendez-moi, je vais chercher les casques.

  — Les casques ? Pourquoi avez-vous acheté deux…

  Je me retournai ; il n’était déjà plus là. Je traversai la rue pour observer de près la petite merveille. Je n’étais jamais montée sur une Harley et j’avais du mal à imaginer Darinsky chevauchant une telle machine. Les types qui roulaient en Harley avaient des barbes de prophètes, des bagues ornées de têtes de mort au format réel et des vêtements de cuir clouté. Darinsky était rasé comme dans une publicité pour after-shave, il ne portait ni boucle d’oreille ni alliance, et il n’y avait pas la moindre frange ni le m
oindre clou sur son pantalon de toile beige. Bref, il ressemblait à tout sauf à un biker.

  — Vous êtes prête ? demanda-t-il, manquant de me faire sursauter.

  Comment faisait-il pour se déplacer sans bruit ? Je pris le casque qu’il me tendait en me promettant de lui poser la question un de ces jours.

  — Quand on roule en Harley, on ne doit pas adhérer à un club de bikers, ou ce genre de choses ?

  — Vous voulez dire, comme les Hells Angels ?

  — Peut-être. Je ne sais pas…

  — Au risque de vous décevoir, je n’appartiens à aucun club, groupe, bande, ou quelque association que ce soit. Bon, vous le mettez, ce casque ?

  — Mais… c’est un vrai !

  Darinsky marmonna quelque chose en russe.

  — Vous n’avez pas ces petits casques en forme de calotte, tellement plus seyants ? demandai-je en le voyant coiffer le sien.

  Sans se donner la peine de répondre, il baissa sa visière, enfourcha sa moto et alluma le moteur. Je me dépêchai de poser mon casque sur ma tête — adieu mon brushing ! — et de prendre place derrière lui. Dès l’instant où je passai mes bras autour de lui, tous mes soucis s’envolèrent. Difficile de rester morose quand vos seins se pressent contre le large torse d’un dieu russe qui vous emmène au bout du monde sur sa Harley Davidson !

  — Nous allons d’abord passer chez vous, me cria Darinsky. Ensuite, quelle direction ?

  — L’océan ! Prenez la route de North Beach !

  Il donna un coup d’accélérateur. Mon cœur battit un peu plus fort quand il s’éloigna du trottoir, vira sur la gauche et prit de la vitesse. Je pouvais sentir la caresse du vent sur nous, le ronronnement de la moto entre mes jambes… C’était grisant ! Il me semblait que Darinsky et son engin ne faisaient qu’un. Ou plutôt, que la puissante machine n’était qu’un prolongement de lui.

  Il connaissait suffisamment San Francisco pour trouver sans que je le lui indique le chemin de North Beach une fois que nous eûmes fait un crochet par mon appartement. Il gara la moto sans difficulté, ce qui représentait un avantage considérable par rapport à ma voiture, et je l’emmenai au bar d’un petit restaurant branché que je connaissais.

  En entrant dans la salle, j’observai les clients d’un œil discret. L’un d’eux nous manifestait-il un intérêt particulier ? Quelqu’un ici avait-il la tête d’un type qui vient de vandaliser une voiture qui ne lui a rien fait ? Apparemment, tout était normal.

  Je me dirigeai vers la seule table encore libre et pris place en face de Darinsky avant de regarder derrière moi, mal à l’aise. Je n’aimais pas tourner le dos à la fenêtre. C’était ridicule. Pour qui me prenais-je, Malcolm X ? Il était temps de chasser mes idées noires ! J’étais ici pour me détendre.

  Je laissai mon regard errer sur l’admirable plastique de Darinsky, occupé à observer le lieu. Je me sentais déjà plus détendue.

  — Pas mal, commenta-t-il en me décochant un de ces sourires en coin qui me faisaient chavirer. Vous non plus, vous n’êtes pas mal. Vous avez l’air d’aller un peu mieux que tout à l’heure.

  — C’est le rouge à lèvres. Ça change tout.

  — Entre nous, vous n’en avez pas besoin. Quand on a des lèvres aussi roses et charnues que les vôtres, on peut se passer de ce genre d’artifice.

  — Qu’est-ce que je vous sers ?

  — Pardon ?

  Confusément, je perçus la présence de la barmaid à notre table, mais je ne parvins pas à regarder la fille. Il aurait fallu pour cela que je détache mon regard des deux yeux bruns de Darinsky, obstinément fixés sur ma bouche.

  — Je vous demande ce que vous voulez boire.

  Enfin, je m’arrachai à ma contemplation et, levant la tête vers la fille, j’essayai de comprendre ce qu’elle disait.

  — Boire ? Ah, oui. De quoi ai-je envie ? La barmaid, une blonde sans relief, tapota son bloc-notes du bout de son stylo. Je devais peut-être commander une bière, plutôt qu’un Bloody Mary ? Je n’avais pas envie de passer pour une ivrogne devant Darinsky.

  — Une Corona.

  Darinsky haussa les sourcils d’un air surpris.

  — Vous ne voulez plus de Bloody Mary ?

  — Si. Un Bloody Mary.

  Il émit un petit rire.

  — Pour moi, ce sera un Pacifico.

  Génial. Maintenant, il ne me soupçonnait plus d’être une ivrogne. Il savait que j’en étais une. Et trop tard pour modifier ma commande… Tant pis. D’ailleurs, une fois que j’aurais bu mon Bloody Mary, tout cela me serait bien égal.

  — Pourquoi avez-vous quitté New York ?

  Pas bien original, comme entrée en matière, mais puisqu’il ne disait rien… Darinsky haussa les épaules en un geste évasif.

  — J’avais besoin de changer. J’étais déjà venu ici, j’aimais bien la ville. Ce mélange des gens et des genres.

  — Vous connaissez la côte Ouest ?

  — Los Angeles. J’y avais un ami.

  — Il n’y est plus ?

  — Il est parti.

  — Loin d’ici ?

  — Aucune idée. Vers le Nord, probablement.

  S’il ne faisait pas un effort, j’allais finir par laisser tomber.

  Notre commande arriva. La barmaid déposa mon drink sur la table sans un regard pour moi, puis elle se tourna vers Darinsky et lui tendit son verre comme s’il s’agissait d’une offrande sacrée.

  — Votre Pacifico, annonça-t-elle.

  — Merci, ce sera tout pour l’instant ! dis-je en haussant le ton pour être sûre d’être entendue.

  La fille partit en quête d’un autre couple à séparer.

  — Où en étions-nous ? demanda Darinsky après avoir bu une gorgée de bière. Ah, oui. Mon arrivée à San Francisco.

  — Pardon ?

  J’observai la serveuse, qui s’était approchée du bar. Tiens, elle avait des racines brunes. Même pas une vraie blonde, me dis-je en portant mon verre à mes lèvres.

  — Nous parlions des raisons de ma venue à San Francisco, reprit Darinsky.

  — Oui. Enfin, non. Nous parlions de votre ami de L.A.

  Il laissa son regard errer par-dessus mon épaule, au-delà de la fenêtre derrière laquelle se pressaient les passants.

  — Je l’ai perdu de vue depuis un bon moment. Je ne sais pas où il est, à présent.

  — Sauf qu’il est parti vers le Nord.

  — C’est une supposition, sur la base de ce que je sais de lui. Vous avez d’autres questions ?

  — Voyons, laissez-moi réfléchir…

  Je fis tourner le bâton de céleri qui décorait mon verre.

  — Ah, oui. Où avez-vous appris à parler aussi bien l’anglais ?

  — Il y a plus de douze ans que je suis dans ce pays.

  — Je connais des tas de gens qui sont ici depuis plusieurs générations et dont l’anglais est à peine compréhensible ! Vous maniez même l’argot !

  — J’ai passé pas mal de temps avec des gens qui ne parlaient que l’argot. Et puis, dans ma branche, il vaut mieux éviter de montrer qu’on est un étranger.

  Un instant, il me sembla voir briller une lueur de regret dans son regard. Avais-je touché un point sensible ?

  — A propos, qu’est-ce que c’est, votre branche ?

  Il s’octroya quelques gorgées de bière avant de répondre.

  — Je suis entrepreneur.

  — C’est vague. Vous êtes dans le bâtiment ?

  — Entre autres.

  — Vous rénovez des maisons, ce genre de trucs ?

  — Ce genre de trucs.

  Il n’était pas bavard. J’allais devoir meubler la conversation, ou nous aurions l’air d’un vieux couple avant d’en être un.

  — Alors vous avez choisi la bonne ville. San Francisco est pleine de vieilles baraques victoriennes qui tombent en ruine. Pourquoi est-ce important de ne pas avoir l’air d’un étranger ?

  — Les ouvriers préfèrent avoir affaire à des gens du coin. Les clients aussi.

  Il n’avait rien d
’un gars du coin mais je m’abstins de lui en faire la remarque.

  — Vous avez des clients, en ce moment ?

  — Deux ou trois chantiers, récemment, et quelques pistes, mais il serait plus honnête de dire que je suis entre deux projets.

  — Vous devriez peut-être cultiver votre côté slave ? Ça peut plaire…

  — Je tiendrai compte de cet avis, dit-il avec un sourire entendu. Et vous ? Comment en êtes-vous arrivée à l’écriture ?

  — Oh, c’est une histoire assez banale. Mon ex-mari me pourrissait la vie. J’en étais venue à rêver de le castrer, mais comme je n’avais pas envie d’aller en prison, j’ai préféré écrire un livre où je le castrais.

  — Vous avez écrit un livre rien que pour ça ?

  — J’ai changé les noms des personnages, et l’héroïne s’en prend à tout un tas d’hommes, mais si vous lisez entre les lignes, oui, c’est l’idée.

  Il me regarda en plissant les yeux.

  — Alors vous couchez vos fantasmes sur le papier.

  — Entre autres. D’un autre côté, je fais toujours en sorte que mes histoires soient réalistes. Ce que j’écris est de la pure fiction, mais cela pourrait très bien arriver.

  — Pourtant, vous n’êtes ni flic ni, que je sache, criminelle. Vous n’avez aucune expérience personnelle de l’univers que vous abordez. Vous parlez de ce que vous ne connaissez pas.

  — Vous avez lu un de mes bouquins ?

  — Je ne crois pas.

  — Et vous vous permettez de les critiquer ? Qui parle de ce qu’il ne connaît pas ? Vous êtes un prétentieux inculte et un sauvage bouffi d’orgueil !

  Darinsky faillit recracher la bière qu’il venait de boire.

  — Vous vous améliorez.

  — Grâce à vous. Vous êtes une formidable source d’inspiration.

  — A votre service ! Je suis disponible le soir et les week-ends.

  J’envisageai un instant de lui demander quelle était la gamme de ses services, mais je renonçai. Darinsky posa les coudes sur la table et se pencha vers moi.

  — Vous avez eu des liaisons sérieuses depuis que vous avez castr… quitté votre mari ?

  — Pas une seule. Et en plus, je n’ai pas de chance au jeu.

  Son regard se vrilla sur le mien.

  — La roue peut tourner, dit-il.

 

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