Sexe, Meurtres et Cappuccino

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Sexe, Meurtres et Cappuccino Page 9

by Kyra Davis

Je cherchai une réponse, renonçai. Plus nerveuse que je n’aurais voulu, je pris une gorgée de Bloody Mary. Pourquoi étais-je aussi tendue ? A cause de mon affection naissante pour Darinsky, ou de l’impression tenace qu’on cherchait à me tuer ?

  — Vous parlez d’expérience ? demandai-je pour changer de sujet. La Russie, Israël, les USA… Vous en avez vu, du pays.

  — Oui. J’ai passé moins de quatre ans en Israël. Dès que les services de l’immigration ont accepté ma demande, je suis venu ici.

  — Vous étiez dans l’armée, là-bas ?

  — On ne m’a pas demandé mon avis. Le service militaire est obligatoire en Israël.

  Il avala une gorgée de bière.

  — J’ai aussi fait l’armée en Russie.

  — Vous êtes un vrai mercenaire !

  — J’ai été un citoyen dans deux pays.

  — Tout de même… ça fait pas mal d’années sous les drapeaux.

  — Vous avez l’air déçue. D’habitude, ça plaît plutôt aux femmes.

  — A celles qui ont un faible pour Steven Segal, peut-être.

  Il sourit, s’adossa à sa chaise.

  — En général, j’évite de leur demander sur qui elles fantasment. Cela dit, je suis sorti avec une fille qui adorait Jean-Claude Van Damme, alors vous savez…

  — Ça vous est déjà arrivé de tuer un homme ?

  — Pas pendant mes années de service.

  — Parce qu’en dehors… ?

  — Je n’ai combattu qu’en Israël et en Russie.

  — Donc, vous avez tué un homme sur le sol américain.

  — Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

  Bien souvent, les gens qui répondent à une question par une autre question ont quelque chose à se reprocher. En tout cas, à dissimuler.

  — Ecoutez, Darinsky, dis-je en comptant sur mes doigts, je n’ai pas l’intention de vous soumettre à l’inquisition, mais quand je sors avec quelqu’un, j’ai un minimum d’exigences. J’évite primo, les mégalos, secundo, les assassins, tertio, les envoyés du diable. Je veux juste m’assurer que vous n’entrez dans aucune de ces catégories.

  Il se pencha en avant, un léger sourire aux lèvres.

  — Je ne suis pas mégalomane. Je n’ai jamais assassiné personne. Quant à mes accointances avec le diable, elles sont des plus limitées. Je me suis toujours méfié des types qui vous proposent des pactes trop avantageux…

  — Bonne réponse. En revanche, vous ne m’avez toujours pas dit ce qui vous était arrivé sur le sol américain. Des mauvaises rencontres ?

  — Votre famille vit dans la région ?

  — Voilà ce que j’appelle de la mauvaise foi caractérisée, dis-je en le menaçant du doigt. Ne croyez pas vous en sortir aussi facilement, je reviendrai à la charge.

  Quand j’aurai moins d’alcool dans le sang et que je disposerai d’une voiture pour rentrer chez moi.

  — Pour répondre à votre question, ma mère vit ici, ainsi que ma sœur, son mari et leur bébé. Mon père est mort il y a une vingtaine d’années.

  — Je suis désolé. Vous étiez proches ?

  — Très. Il paraît que je tiens beaucoup de lui. J’aime beaucoup ma mère et ma sœur, mais à côté d’elles, j’ai parfois l’impression d’être une extraterrestre. Je choisis toujours les chemins de traverse. Ma sœur, elle, a épousé un expert-comptable.

  — Je vois. Il y a longtemps que vous habitez dans Russian Hill ?

  — Je vis dans cet appartement depuis neuf ans.

  — Incroyable. Moi, je n’ai jamais passé autant de temps dans la même ville. Vous devez connaître tous les voisins ?

  — Je les déteste. Heureusement, le type du premier est souvent en déplacement, et par un accord tacite, ma voisine du dessous et moi ne nous adressons la parole qu’une fois tous les cinq ans en moyenne. C’est elle qui m’a prévenue que ma voiture avait été abîmée, tout à l’heure. En théorie, je suis tranquille pour cinq ans.

  — Il doit tout de même y avoir des avantages à rester aussi longtemps dans le même appartement. Ça permet de limiter la hausse des loyers, je suppose.

  — Oui, et le propriétaire me fiche une paix royale. Je peux faire les aménagements que je veux, tant que ça n’abaisse pas la valeur de l’appartement. Tiens, ce serait le moment idéal pour que vous y fassiez quelques rénovations, non ? Je viens de finir un roman, je suis tranquille pour quelques semaines.

  Darinsky secoua la tête d’un air navré.

  — Mon agenda pour les semaines à venir est déjà plein.

  — Je croyais que vous étiez entre deux projets ?

  — En effet. J’ai de bonnes chances de penser qu’une de mes offres devrait bientôt être acceptée. Je veux rester disponible si c’est le cas.

  Il vida d’un trait son Pacifico.

  — Vous buvez autre chose ?

  — Merci, j’ai eu mon compte.

  — Bien, dit Darinsky en faisant signe à la serveuse de nous apporter l’addition. Que diriez-vous d’une petite balade jusqu’à Coit Tower ? C’est l’un des rares monuments de San Francisco que je n’ai pas encore visités.

  — Pourquoi pas ? La tour est intéressante, à condition d’apprécier le style phallique et d’avoir de bonnes jambes. Ça monte, pour y arriver.

  La barmaid nous apporta la note. Tandis que Darinsky payait, je réprimai un sourire. C’était officiel, elle avait des racines brunes. Mon compagnon rangea son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon et me parcourut d’un long regard insistant.

  — Vous devriez pouvoir faire l’ascension, vous avez l’air en pleine forme.

  Je m’agitai, mal à l’aise. Mon côté féministe me dictait de me sentir offensée, mais je n’arrivais pas à lui obéir. J’étais trop occupée à imaginer Darinsky nu comme Adam.

  — On y va ? demanda-t-il.

  — C’est parti !

  Je ne savais pas jusqu’où exactement il me proposait d’aller, mais j’étais d’accord. En cet instant, je l’aurais suivi jusqu’au bout du monde. Il me prit par la main pour m’aider à me lever et me guider vers la sortie. Etait-il normal de trouver excitant ce simple contact ? D’accord, il avait toujours d’aussi belles mains. Tout de même…

  Je retrouvai le contrôle de ma libido pendant le trajet vers Coit Tower. La route qui menait au pied de la tour ne montait pas tout à fait à quatre-vingt-dix degrés, mais peu s’en fallait.

  Lorsque nous arrivâmes au sommet de la colline, je n’étais plus qu’une pauvre chose en nage et hors d’haleine. Le rouge à lèvres ne m’était plus d’aucun secours. Darinsky, lui, n’avait même pas le souffle court, ce qui ne contribua pas à me remonter le moral.

  — On ne… pouvait pas… y aller en moto ? haletai-je en m’asseyant sur le muret d’un parking.

  — L’expérience n’aurait pas été complète.

  — Vous avez raison. Je n’aurais pas voulu rater l’occasion d’une bonne crise cardiaque en pleine rue.

  Darinsky éclata de rire et s’assit près de moi.

  — Faites-moi plaisir, dit-il. Bouclez-la et admirez ce chef-d’œuvre.

  En guise de réponse, je lui tirai la langue et fis passer mes jambes de l’autre côté du muret, tournant le dos au monument qui dressait sa silhouette de phallus blanc dans le ciel au-dessus de nous. Je préférais m’absorber dans la contemplation du panorama qui se déployait à nos pieds, toujours aussi beau quel que soit le moment de l’année. De là où nous nous trouvions, nous avions une vue imprenable sur les deux ponts : le Golden Gate et Bay Bridge.

  Il faisait ce jour-là un temps idéal pour la voile. Aussi les eaux étaient-elles parsemées de petits triangles blancs qui glissaient à leur surface. La saison touristique n’était pas encore officiellement entamée, mais les premiers touristes avaient déjà fait leur apparition, avec leurs appareils photo et leurs accents de tous les pays du monde.

  Cette vue était si paisible et reposante que les dernières traces de peur qui m’habitaient depuis la découverte, quelques heures auparavant, de ma
voiture vandalisée, s’évanouirent rapidement, comme chassées par le vent. Peu m’importait, alors, ce qui m’attendait lorsque je redescendrais de cette colline. Tant que je resterais ici, je serais en sécurité. J’inhalai une bouffée de l’air salin qui montait de la mer.

  Darinsky s’était assis à mon côté sans que je m’en aperçoive. Il était à présent tout près de moi, le regard perdu dans le paysage.

  — C’est spectaculaire, non ?

  — Bonne définition, dit-il.

  Puis, après un silence :

  — Sophie, ajouta-t-il. Il y a quelque chose que j’ai envie de faire depuis ce matin.

  Je me tournai vers lui, intriguée. De quoi parlait-il ?

  Il répondit en caressant ma joue avec douceur, avant de se pencher vers moi jusqu’à ce que ses lèvres effleurent les miennes en un contact léger, tendre… et terriblement excitant.

  Il s’écarta de moi, juste assez pour murmurer :

  — Je continue ?

  — Essayez toujours.

  Il s’approcha de nouveau pour me gratifier, cette fois-ci, d’un baiser plus hardi, avant de s’aventurer vers ma gorge. Tout compte fait, c’était une bonne idée de ne pas avoir mis ce top à col roulé. Lorsque Darinsky me laissa reprendre mon souffle, j’eus toutes les peines du monde à ne pas le supplier de continuer.

  — Je crois que j’ai suffisamment vu Coit Tower. Si on allait dans un coin plus tranquille ?

  Au fond, me dis-je, la sécurité était une notion toute relative. Il était temps de commencer à vivre dangereusement. Dans mon appartement. Je parcourus d’un doigt langoureux le bras musclé de mon compagnon, lorsque ma caresse fut arrêtée par sa montre.

  — Quoi ? Il est déjà 17 h 50 ?

  — Il y a un problème ?

  — Je suis supposée me trouver à 18 heures à une surprise-partie.

  — C’est une obligation absolue ? demanda Darinsky d’un ton de tendre reproche.

  Je mordis mes lèvres, ne sachant que répondre. Me rendre à cette invitation était très important pour Marcus. Faire des folies de mon corps jusqu’à l’aube était encore plus important. Pour moi.

  — J’ai promis d’aller à une fête donnée pour un ami de Marcus, expliquai-je. Il est malade et il adore mes livres. Ça lui ferait plaisir que je passe.

  — Sa maladie… c’est grave ?

  — Aussi grave que peut l’être le sida.

  Darinsky ne répondit pas. Il paraissait déçu, et je l’étais tout autant que lui. D’un autre côté, une promesse est une promesse.

  — Vous voulez m’accompagner ? proposai-je.

  Il secoua la tête.

  — Je ne suis pas invité, et vous devrez vous consacrer au héros du soir. Il vaudrait mieux que je ne vienne pas.

  — Vous me raccompagnez chez moi ?

  Il se leva et me tendit la main pour m’aider à me lever.

  — Le carrosse de madame est avancé.

  7

  Les journées sont comme la musique, expliqua-t-elle. Certaines sont un canon de Pachelbel joué par l’orchestre symphonique de New York, d’autres ressemblent à un mauvais medley des Beatles pour cabine d’ascenseur.

  Sex, Drugs & Murder

  Tout compte fait, je passai une excellente soirée. Je dédicaçai quelques livres et parvins à m’amuser un peu, mais je ne me privai pas de souligner à l’intention de Marcus le sacrifice que j’avais consenti afin d’être présente. En signe de gratitude, il me servit une double part de cake au chocolat qu’il arrosa généreusement de cognac.

  Lorsque les festivités prirent fin, il me raccompagna à la maison. Ayant garé sa décapotable en double file devant l’entrée de mon immeuble, il ferma le clapet de Madonna et se tourna vers moi.

  — Merci d’être venue, Sophie. Steve était fou de bonheur.

  — C’est un chic type. Il m’a dit que quand il n’avait pas le moral, il prenait un de mes bouquins pour oublier ses soucis. C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire.

  — Oui…, dit Marcus en jouant avec une de ses nattes. Il a sacrément maigri. Dire qu’on a dû tout plier à 9 heures parce qu’il ne tient pas plus longtemps ! Tout ce que j’espère, c’est qu’il a profité de sa soirée.

  Je posai ma main sur celle de mon ami.

  — Tout était parfait. Tu as organisé ça comme un chef.

  Marcus accueillit mon compliment avec un sourire un peu triste. Je lui donnai un coup de coude.

  — Je ne m’attendais pas à voir Donato ce soir, ajoutai-je.

  — C’est l’homme de ma vie. Il me fait rire, il me fait rêver, et je ne te parle pas de l’effet qu’il me fait quand il se met à danser.

  — Je te crois sur parole. C’est une personnalité tout à fait remarquable, on dirait.

  — Oui, c’est souvent le cas avec les dieux grecs.

  Malgré l’obscurité, je vis briller le regard de Marcus.

  — Il doit passer me voir ce soir pour une séance d’adoration en privé.

  — Je vois… Eh bien, je m’en voudrais de te détourner de tes devoirs religieux.

  Je déposai un baiser sur sa joue, puis rassemblai ma veste et mon sac à main.

  — Au fait, demandai-je, la main sur la poignée de la portière, tu aurais le temps pour un soin et un brushing, mardi ?

  — Pour toi, trésor, toujours. Appelle au salon, on te trouvera un rendez-vous.

  Je descendis de la voiture et fis un signe de la main à Marcus en le regardant s’éloigner.

  — Bonsoir, mademoiselle Sophie.

  Je pivotai sur mes talons et levai la tête.

  — Andy ? Que faites-vous ici ?

  Il dansa sur ses pieds d’un air penaud.

  — Je suis allé aider Mlle Murphy à porter ses courses chez elle.

  A 9 h 30 du soir ? J’imaginais mal une vieille dame faisant ses achats à une heure aussi tardive. A moins que Mlle Murphy ne soit une jeune mondaine craignant d’abîmer sa manucure ?

  — C’est votre fiancé ?

  — Marcus ? J’aimerais bien, mais nous sommes seulement amis. Je n’ai pas de fiancé.

  Qu’avais-je dit ? C’était malin ! Maintenant, Andy allait me proposer de sortir avec lui. Pourquoi n’avais-je pas prétendu que Marcus était mon petit ami ? J’avais un prétexte en or et je l’avais laissé filer !

  — Eh bien, Andy, j’ai été ravie de vous voir. Je dois me dépêcher de rentrer, mon chat va s’impatienter.

  Bon sang, où étaient mes clés ? Là, tout au fond de mon sac. Si je parvenais à les attraper et à ouvrir la porte assez vite…

  — Vous seriez d’accord pour sortir avec moi un de ces jours ?

  Raté.

  — Je pourrais vous emmener dans des endroits sympa. J’ai mis de l’argent de côté, sur ma paie.

  Je trouvai enfin mes clés et les insérai dans la serrure.

  — Ecoutez, je suis tout à fait flattée, Andy, mais je…

  — Mais vous ne sortez pas avec un attardé.

  — Grand Dieu, pas du tout ! D’ailleurs, vous n’êtes pas un attardé !

  Etait-il en colère ? Je n’avais jamais imaginé qu’il en soit capable.

  — Le seul problème, poursuivis-je, c’est que je suis débordée en ce moment, et que je n’ai pas le temps de fréquenter quelqu’un.

  — Alors vous ne fréquentez personne ?

  Le nuage qui avait assombri ses traits s’était dissipé aussi vite qu’il s’était formé, ne laissant sur son visage aux traits épais qu’une expression de totale confusion. Il avait l’air d’un gamin qui vient de s’apercevoir qu’il s’est aventuré trop loin de sa maman.

  — Personne, dis-je avec fermeté.

  Sauf si vous étiez grand, brun et Russe, auquel cas je ne répondais de rien.

  Andy tordit ses mains avec gêne.

  — Je crois que je comprends.

  J’en doutais, mais il semblait accepter mes affirmations, et c’était tout ce qui comptait pour moi. A grand peine, je dissimulai mon soulagement.

  — Excusez-moi,
il faut que j’aille donner à manger à mon chat.

  — Bien sûr, mademoiselle Sophie. Alors à un de ces jours ?

  — Oui. Bonsoir, Andy.

  Lorsque j’entrai dans l’appartement, mon cœur battit un peu plus fort. Quelle désagréable surprise m’attendait, cette fois-ci ? Sur le qui-vive, j’inspectai chaque pièce avec soin, à la recherche de verres brisés ou autres découvertes inhabituelles.

  Tout semblait en place.

  Je parcourus du regard la rangée de romans que j’avais publiés, tous sagement alignés sur l’étagère du séjour. Qu’il était loin, le temps où je ne confondais pas la fiction et la réalité ! Dena avait coutume d’affirmer qu’une trop longue abstinence sexuelle conduisait irrémédiablement à une sénilité précoce. Songeuse, je grattai M. Katz entre les oreilles.

  Il était grand temps de passer à la vitesse supérieure avec Anatoly… n’était-ce que pour me protéger des avances d’Andy.

  Le lendemain matin, je parcourus les petites annonces à la recherche d’une entreprise de remplacement de pare-brise et vitres de voitures sans rendez-vous. En réalité, j’avais du mal à me persuader de l’urgence qu’il y avait à réparer la casse. En quoi cela était-il important d’empêcher un éventuel clochard de piquer un roupillon dans l’épave qui me tenait désormais lieu de voiture ?

  Je refermai l’annuaire, m’adossai dans mon fauteuil et laissai mon regard errer par la fenêtre. C’était une journée froide et brumeuse comme San Francisco en a le secret, une journée tout indiquée pour allumer un feu, décrocher le téléphone et se plonger dans un bon bouquin. Je levai les yeux vers ma bibliothèque. Tiens ? Un livre avait été déplacé. Mais lequel était-ce ?

  Je me levai sans réfléchir. A mesure que j’approchais des rayonnages, la nervosité me gagna. Je ne pouvais toujours pas lire le titre du bouquin, mais je compris que c’était un de ceux que j’avais écrits. Je plissai les yeux, curieuse. Encore un pas. Je pris le livre… et le laissai tomber par terre.

  Sex, Drugs & Murder.

  Cette fois-ci, il n’y avait plus de doute possible. Il se passait quelque chose. Le livre était à sa place quelques heures auparavant, je le savais. Il avait été déplacé durant la nuit. Quelqu’un était entré dans mon appartement.

 

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