Sexe, Meurtres et Cappuccino

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Sexe, Meurtres et Cappuccino Page 25

by Kyra Davis


  A ces mots, son visage s’éclaira.

  — Il a bien fait, je serai très heureux d’éclairer votre lanterne ! Je vous en prie, appelez-moi Gary.

  — Merci, Gary, et vous, appelez-moi Sophie. Et voici Marcus.

  — Je ne suis ici que pour le plaisir des yeux, dit Marcus, faussement modeste. Tiens, Ralph, si vous me montriez quelque chose de touchant ? J’ai très envie d’être touché…

  Randolph frappa ses mains l’une contre l’autre avec enthousiasme.

  — Comme je vous comprends ! Venez, nous avons justement quelques tableaux tout à fait exquis d’un jeune talent espagnol. Je vous précède.

  — Je brûle d’impatience !

  Laissant Marcus entre les mains expertes de Randy, je suivis Gary Sussman dans son bureau. En entrant dans la pièce, une immense salle aux murs ornés de toiles, je ne pus retenir un cri d’admiration.

  — Quel bel endroit ! m’exclamai-je en m’asseyant sur un objet qui tenait à la fois de la chaise et de l’instrument de torture chinois.

  — C'est l’artiste Marian Dominick qui s’est chargée de la décoration, expliqua Sussman. Je considère cette pièce comme une œuvre d’art à part entière.

  — A juste titre. C'est époustouflant ! Tout comme les œuvres que vous exposez, d’ailleurs.

  J’éprouvais quelque difficulté à faire correspondre ce que je savais de Darinsky avec ce que je voyais de Sussman, en théorie l’un de ses meilleurs amis. De la conversation que Darinski m’avait tenue lors du vernissage de Donato, j’avais retiré la certitude qu’il ne supportait pas l’aspect gratuit de l’art pour l’art. Sussman, lui, était tellement fou de peinture qu’il en devenait caricatural.

  Il se pencha sur le bureau pour m’observer un instant.

  — J’espère que vous ne vous formaliserez pas de cette remarque, mais je trouve que vous avez des traits délicieusement exotiques. De quelle nationalité êtes-vous ?

  Ce personnage éveillait en moi une irrésistible envie de le provoquer.

  — Ma mère est égyptienne et mon père israélien. Ils se sont rencontrés lors d’une fête pour célébrer les accords de Camp David.

  Sussman demeura silencieux quelques instants, visiblement incrédule.

  — C'est l’histoire la plus fantastique que j’aie jamais entendue, dit-il.

  Je ne parvins pas à déterminer si par « fantastique », il entendait « merveilleuse » ou « délirante », et je ne cherchai pas à en savoir plus.

  — Alors c’est Anatoly qui vous a suggéré de vous adresser à moi… C'est un ami à vous ?

  — Plutôt un voisin. Nous habitons le même quartier ; je le croise de temps en temps, mais je ne peux pas dire que je le connais très bien.

  Ce mensonge était plus plausible que la vérité, à savoir qu’Anatoly aurait pu être mon amant s’il ne tentait pas de m’assassiner.

  — Personne ne peut prétendre connaître Anatoly… Moi qui ai partagé un appartement avec lui, je ne sais toujours pas qui il est.

  — Ah? J’ai cru comprendre que vous étiez très proches.

  — Anatoly et moi ?

  Sussman haussa les sourcils d’un air surpris.

  — Intéressant… Le peu de temps que nous avons vécu ensemble à New York, à l’époque où je passais mon doctorat à l’université, la seule chose que nous partagions, c’était le loyer d’un modeste appartement dans Manhattan. Enfin, c’est une image. Les mots « modeste » et « Manhattan » sont antithétiques !

  Il rit de sa plaisanterie et je tentai de l’imiter.

  — Il était déjà entrepreneur ?

  — Entrepreneur ? C'est ce qu’il est aujourd’hui ?

  — Il me semble, mais j’ai peut-être mal compris ce qu’il me disait.

  — Ça alors ! Lui qui n’a jamais su remplacer une ampoule… Comme on change !

  — De quoi vivait-il, à New York ?

  Gary fit une moue évasive.

  — Franchement, je ne sais pas. Comme je vous le disais, nous n’étions pas très proches. Pendant les quelques mois qu’a duré notre cohabitation, nous n’avons pas échangé plus de cinq phrases. C'était quelqu’un d’assez réservé.

  — Vous ne lui avez pas posé de questions, quand il s’est installé chez vous ?

  — A vrai dire, c’est plutôt moi qui me suis installé chez lui.

  Je réprimai un mouvement d’impatience. Cet homme devait pouvoir me renseigner plus que cela !

  — Il ne vous a donc jamais dit qu’il était entrepreneur ?

  — Pour la bonne raison qu’il ne l’était pas. Je crois qu’il travaillait dans les assurances.

  — Anatoly Darinsky, assureur ?

  J’éclatai de rire.

  — Vous avez raison, ça ne lui va pas. Pourtant, il me semble bien l’avoir entendu parler d’assurances.

  — Si je comprends bien, vous vous connaissiez si peu que c’est surprenant que vous soyez restés en contact.

  — C'est une pure coïncidence ! Je l’ai retrouvé par hasard, le jour où Alex Tolsky me l’a présenté, ici, à la galerie.

  — Il est venu avec Alex Tolsky ?

  — Tout à fait, ils visitaient la région. C'était peu de temps avant la mort de ce pauvre homme.

  — Oui, quelle tragédie…

  J’eus bien du mal à ne pas laisser deviner ma soudaine nervosité. Pourquoi, alors que je savais qu’Alex et Anatoly étaient amis, étais-je parcourue d’une sueur glacée chaque fois que ce fait m’était confirmé ?

  — C'était un homme absolument charmant. La presse a été odieuse avec lui. Tous ces ragots sur son alcoolisme, la maladie mentale… C'est l’une des personnes les plus intelligentes que j’aie rencontrées, sans parler de son regard. Il avait l’œil pour déceler le talent artistique. Mais je ne vous apprends rien. Vous le connaissiez aussi, n’est-ce pas ?

  — Comment le savez-vous ?

  Les seules personnes qui savaient que je l’avais rencontré étaient des employés des Productions Tolsky, ainsi que quelques-uns de mes amis.

  — Par Anatoly.

  Je regardai Sussman, ébahie.

  — Anatoly ? Quand vous l’a-t-il dit ?

  — Il y a un mois ou deux… Je ne sais plus exactement. Il venait de s’installer et est passé me dire bonjour. Il était très préoccupé de ce qui était arrivé à Alex Tolsky. Ils étaient très proches, tous les deux, et je crois que sa mort l’a profondément affecté.

  — C'est ce jour-là qu’il vous a parlé de moi ?

  — Oui, il a dit que vous deviez écrire un scénario pour Tolsky et m’a demandé si celui-ci nous avait présentés, vous et moi. Il m’a fait une description de vous très flatteuse et, je dois le dire, tout à fait précise. Vous m’excuserez, mais à l’époque, je n’avais jamais entendu parler de vous. Malheureusement, je ne lis pas de fiction. Les revues d’art occupent tout mon temps, je dois toujours me tenir au courant des dernières tendances… Ce qui nous amène à votre question. Que voulez-vous savoir sur l’univers des galeries d’art, au juste ?

  L'univers des galeries d’art ? Mais je m’en fichais éperdument ! Je connaissais Darinsky depuis moins de trois semaines, et voilà que j’apprenais qu’il avait parlé de moi à Sussman six, voire huit semaines auparavant. Depuis combien de temps m’épiait-il ? Deux mois ? Trois ?

  Prenant conscience du regard insistant de Gary posé sur moi, je cherchai une question intelligente.

  — Comment faites-vous la différence entre un véritable artiste et un imposteur qui projette des gouttes de peinture au hasard sur sa toile ?

  Les sourcils de Gary se rejoignirent jusqu’à n’en former plus qu’un seul.

  — Ce n’est pas une bonne question ?

  Moins de soixante secondes plus tard, il me reconduisait à la porte de son bureau. Je rejoignis Marcus, qui écoutait les explications de Ralph à propos d’une photographie d’une femme en train d’uriner.

  — C'est un constat qui concerne l’ensemble de notre société.

  — Bien sûr. Tout le monde fait pipi.r />
  — Marcus ? On y va.

  Ralph se tourna vers moi.

  — Je lui montrais le travail de…

  — On y va tout de suite.

  Marcus lui décocha un sourire navré.

  — Désolé, Randy, c’est elle la patronne. La prochaine fois, promis, tu me montreras celle du gars qui fait caca.

  Si j’avais marché relativement vite à l’aller, au retour, je battis un record de vitesse.

  — Sophie, Sophie, pas si vite ! gémit Marcus en trottant pour rester à ma hauteur. Ta conversation s’est mal passée ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

  — Tout !

  Je pilai net au milieu du trottoir, obligeant Marcus à bondir de côté pour ne pas me renverser.

  — Darinsky était le colocataire de Sussman à New York.

  — On le savait déjà.

  — A l’époque, il lui a dit qu’il travaillait dans les assurances.

  — Anatoly ?

  — Oui. Je mettrais ma main au feu qu’il lui a menti, et qu’il n’est pas plus entrepreneur ici qu’il n’était assureur là-bas. Pour ce que j’en sais, il ne s’est peut-être même jamais appelé Anatoly…

  — D’accord, mais il y a une bonne dizaine d’années qu’il se présente sous ce prénom.

  — Ce n’est pas tout. Il est venu ici avec Alex Tolsky, et après la mort de celui-ci. Il a posé à Sussman des questions à mon sujet.

  — Quand ?

  — Environ un mois avant de me rencontrer. Il lui a donné une description de moi apparemment très précise. Tu comprends ce que ça veut dire ?

  Marcus pâlit — dans la mesure où un homme noir en est capable. Disons que son teint d’ébène prit un reflet grisâtre.

  — Cette fois-ci, tu vas prévenir la police ?

  — Tu n’as pas dû écouter ce que je te répète depuis une semaine ! Je n’ai pas de certitude. Aucune preuve. Rien que des coïncidences !

  — Autant de coïncidences à la suite ? Ça fait beaucoup, non ?

  — Sans blague !

  Je pressai mon front entre mes mains.

  — Ce type est diabolique. A côté de lui, Staline était un apprenti comique ! Il avait planifié son affaire depuis le début ; il me donne tous les éléments et aucun moyen de les relier, encore moins de les démontrer…

  Je me tordis les mains, désespérée.

  — Il va me tuer. Il va me tuer, et personne ne peut m’aider.

  — Je suis là, moi.

  — Oui, mais tu ne peux rien faire pour moi. Dena non plus, et Mary Ann encore moins. Personne ne pourra me sauver !

  J’avais hurlé ces derniers mots, prise de panique. Marcus s’empara de mon bras et m’approcha de lui avec force.

  — Calme-toi ! Il y a forcément une solution. Le tout, c’est de la trouver.

  — Génial.

  — Tu crois que je vais laisser un hétéro assassiner ma meilleure cliente ? Tu es trop jeune pour mourir. Je n’ai pas encore eu le temps de te faire ces mèches dont on a parlé l’autre jour.

  — Alors prenons rendez-vous aujourd’hui, ou alors, mets-toi directement en relation avec mon embaumeur, ce sera plus sûr.

  — Ça suffit.

  Il leva la main pour me faire taire, un peu à la manière d’un chef d’orchestre demandant le silence. Puis, consultant sa montre :

  — J’ai une permanente dans une demi-heure.

  — Oh, pardon, je m’en voudrais de te mettre en retard !

  — J’appelle Donato et j’annule notre rendez-vous de ce soir. On dîne ensemble, toi et moi.

  — Tu m’invites deux fois dans la même journée ? C'est fou comme les gens sont gentils quand vous êtes à l’article de la mort !

  — Tu n’as pas encore un pied dans la tombe…

  Il m’adressa un clin d’œil chaleureux.

  — ... alors on partagera l’addition.

  — Ben voyons !

  — Et on mettra au point un plan pour prendre Anatoly à son propre piège.

  Il posa une main sur sa hanche et, de l’autre, claqua des doigts au-dessus de sa tête, façon danseuse de flamenco.

  — On va lui montrer, à cet artiste du crime, qu’il n’est pas le seul à avoir de l’imagination !

  17

  Les actes sont souvent plus efficaces que les paroles. Surtout les plus idiots.

  Sex, Drugs & Murder

  Je déposai Marcus et roulai au hasard dans les rues de la ville pendant plusieurs heures. Cela, Anatoly ne s’y attendait pas ! J’envisageai même de sortir de San Francisco. Il n’irait pas me chercher à… où cela, au fait ? Où serais-je en sécurité ?

  Il l’avait déjà démontré par le passé, les distances n’étaient pas un problème pour lui. Quant à moi, je ne pouvais pas prétendre à la protection qu’on accordait aux témoins de crimes coopérant avec la justice. Pour cela, il aurait fallu que la justice veuille bien coopérer avec moi, ce qui n’était pas le cas.

  Même à l’autre bout du monde, je ne serais pas à l’abri. Et puis, il y avait ma mère et ma sœur. Elles étaient invivables, mais je ne pouvais pas vivre loin d’elles.

  Je n’avais pas d’autre choix que de rester à San Francisco.

  J’arrivais à l’extrémité de la baie. Des nuages teintés de rose passaient au-dessus du pont du Golden Gate. C'était là qu’étaient ma vie, mes amis, mon… Oups ! Mon chat ! J’avais oublié de nourrir M. Katz.

  Je regardai le soleil rouler sur l’horizon. Il allait bientôt faire nuit et je n’avais aucune envie de rentrer chez moi dans l’obscurité. Mais je ne pouvais pas laisser mon chat mourir de faim dans le noir parce que j’avais peur.

  Quoique…

  Oh, flûte ! Je n’allais pas laisser un malade mental, même armé d’une hache, me gâcher l’existence !

  Je donnai un coup de volant et fis demi-tour. La bestiole avait intérêt à se montrer reconnaissante envers moi, qui prenais le risque d’être sauvagement assassinée pour lui donner ses fichues croquettes ! Je méritais la médaille de la meilleure propriétaire vivante d’animal domestique.

  Ou alors, celle de la femme la plus stupidement courageuse de la côte Ouest. On me l’attribuerait à titre posthume…

  Je garai ma voiture à trois rues de chez moi et courus jusqu’à mon immeuble, manquant de renverser au passage une mère de famille et une vieille dame chinoise qui s’appuyait sur une canne. Rien de tel que de se faire insulter dans deux langues différentes pour vous stimuler !

  Je grimpai les escaliers quatre à quatre, voire six à six, ouvris la porte et faillis piétiner M. Katz, qui me regardait avec une lueur meurtrière dans ses yeux jaunes. L'espace d’un instant, il me sembla que le monde entier voulait ma mort.

  — Je suis désolée. Désolée, désolée, désolée ! répétai-je en me dirigeant vers la cuisine.

  Le chat me suivit d’un air renfrogné, et ne se dérida que lorsque je lui versai une double ration de croquettes. Pendant ce temps, j’allai voir si j’avais des messages sur mon répondeur.

  Il y en avait deux. Le premier était de Leah.

  — Sophie, tu es là ? Décroche, c’est moi ! Sophie ? Très bien, ne décroche pas… J’ai besoin de toi. Bob est épouvantable et je me demande si… Bon, appelle-moi, tu veux ?

  Bob était épouvantable ? Mais Bob était toujours épouvantable ! Cela n’avait jamais dérangé ma sœur jusqu’à présent. Pourquoi s’en inquiétait-elle, tout d’un coup ? Je faillis lui répondre avant d’écouter mon second message, mais la machine fut plus rapide que moi.

  — Salut, c’est moi.

  Une voix aux inflexions russes emplit l’espace, me glaçant d’effroi. Anatoly. Telle une proie fascinée par son prédateur, je l’écoutai, le souffle coupé.

  — J’espérais qu’on pourrait parler, toi et moi. Je ne serai pas là ce soir, mais tu peux m’appeler sur mon portable.

  Oubliant Leah, je m’assurai que ma porte était bien verrouillée. C'était le cas, mais il restait la fenêtre de la cuisine. Pourquoi ce fichu propriétaire ne l’avait-il toujours pas fait r�
�parer ? Si Anatoly passait par là pour m’assassiner dans mon sommeil, parole de scoute, je le traînais devant les tribunaux !

  Mon tueur rôdait dans le quartier, attendant que je l’appelle pour lui confirmer que j’étais chez moi. Ou, qui sait ? Il se trouvait peut-être déjà là, tapi dans l’ombre… Prenant le téléphone d’une main, j’allai à la cuisine et saisis un couteau de l’autre. Avec mille précautions, j’inspectai chaque pièce de l’appartement.

  Personne sous le lit. Personne dans la douche. Personne… Zut, les placards. Cruel dilemme. Pour les ouvrir, il fallait que je pose soit le téléphone, soit le couteau. Autrement dit, soit mon moyen de communication avec l’extérieur, soit l’arme pour me défendre. Je choisis le premier. Le monde extérieur m’avait si peu aidée, ces derniers temps !

  D’un geste sec, j’ouvris la porte du placard. Personne. Pourtant, mon soulagement fut de courte durée. Qui me disait que Darinsky ne se trouvait pas à l’affût, de l’autre côté de la rue, dans un appartement de location, épiant mes allées et venues à l’aide d’une paire de jumelles ?

  J’éteignis rapidement les lumières. A moins de posséder un équipement à infrarouges, il ne pouvait plus me voir, à présent.

  Que faire de plus pour me protéger ? Je balayai du regard mon appartement plongé dans la pénombre. Le plus sage était d’aller jusqu’à la baie vitrée et de tenter de localiser Darinsky.

  Je faillis me briser le tibia contre la table basse du salon et tuer mon chat en tombant sur lui, mais je parvins à destination et me postai en embuscade. La rue était presque vide. Je n’y vis personne à l’exception de quelques passants, dont aucun ne ressemblait, de près ou de loin, à l’ami Darinsky.

  M’étant assise à même le sol en tailleur, je réfléchis. Si Anatoly — ou quel que soit son prénom — ne m’avait pas menti sur son passé dans les armées russe et israélienne, il possédait un solide entraînement militaire. Il savait par conséquent choisir sa proie, étudier ses habitudes, mettre au point un plan d’attaque et passer à l’action. Si, de plus, il m’observait à ce moment précis, il avait déjà compris, m’ayant vu éteindre mes lumières sans quitter mon appartement, que j’étais sur le qui-vive. Par conséquent, il n’avait aucune raison de traîner dans la rue en attendant que je le repère.

 

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