Surrealist, Lover, Resistant

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Surrealist, Lover, Resistant Page 24

by Robert Desnos


  Allongée dans son lit, le tain de son miroir,

  Elle épouse docile un corps et son image,

  Quitte à rendre à la terre un cadavre le soir.

  Les oiseaux de sa rive ont un charmant ramage.

  Cette eau qui désaltère est fatale au buveur.

  On le retrouve mort auprès de quelque borne

  Et d’un plus sûr poignard poignardé en plein cœur

  Que celui que l’on trempe en cette onde qui s’orne

  Des cristaux de la lune et de l’azur polaire

  Et qui chante en coulant sur les fonds de cailloux

  Et qui rugit au fond des gorges solitaires

  Ainsi qu’une putain battue par son voyou.

  Mais celui-là qui peut, plongeur au cœur robuste,

  Atteindre l’autre rive et sécher au soleil

  Les gouttes scintillant sur ses reins et son buste

  Et la boue des bas-fonds collée à ses orteils,

  Est désormais trempé comme un poignard de mort,

  Une lame de crime aux touches sans remède,

  Un estoc de jadis pour redresseur de torts,

  Plus dur que les aciers de Sheffield et Tolède.

  Honneur à toi, Sirène, honneur à toi torrent,

  Ô femme dont l’amour trempe une âme solide.

  Qu’importe si ta bouche aux baisers effarants

  Fut salée par les pleurs de tes amants avides.

  Don Juan te rencontra avant les mille et trois.

  C’est toi qui lui donnas son tourment et son charme,

  C’est l’écho de tes chants qu’écoutaient dans sa voix

  Celles qu’il abîmait dans l’amour et les larmes.

  Les deux fils de Don Juan apprirent par tes lèvres,

  Lord Byron le destin, le courage et l’orgueil,

  Et Nerval où trouver le philtre d’outre-fièvres

  Pour te ressusciter dans ses rêves en deuil.

  Il est minuit au pied du château qui n’est ni celui de la Belle au bois dormant, ni le seul en Espagne, ni le roi des nuages mais celui dont les murailles dressées au sommet d’une montagne dominent la mer et la plaine et maints autres châteaux dont les tours blanchissent au loin comme les voiles perdues sur la mer. Il est minuit dans la plaine et sur la mer, il est minuit dans les constellations vues d’ici et voici que l’étoile, la tantôt noire, la tantôt bleue, surgit au-delà de l’écume éclatée comme un orage bas dans les ténèbres liquides. À ses rayons, la bouteille abandonnée dans l’herbe et les ajoncs s’illumine des voies lactées qu’elle paraît contenir et ne contient pas car, bien bouchée, elle recèle en ses flancs la sirène masquée, la captive et

  redoutable sirène masquée, celle qu’on nomme l’Inouïe dans les mers où jamais elle ne daigne chanter et la Fantomas dans les rêves. Et, vrai, vêtue du frac et du haut de forme, on l’imagine parcourant un bois de mauvais augure tandis que les musiques d’une fête lointaine somment vainement les échos de ramener à elles ce charmant travesti. On l’imagine encore, amazone, dans ce même bois, à l’automne, serrant contre elle un bouquet de roses trop épanouies dont les pétales s’envolent sous les efforts combinés du vent et du trot de son cheval.

  Pour l’instant captive elle attend la délivrance dans sa prison bien bouchée par une main amoureuse, tandis qu’une lettre, non remise à son destinataire, moisit sur le sol. C’est l’heure où les dés et les horloges font des bruits singuliers qui étonnent les veilleurs. C’est l’heure où l’amant qui déshabille sa maîtresse s’étonne du crissement musical et inaccoutumé de la soie et du linge. Pâles et rêveurs, tous écoutent ces manifestations de l’invisible qui n’est que leurs pensées et leurs rêves et, ceux-là, sur les chiffres fatidiques et, ceux­-ci, sur l’heure qui marqua jadis le rendez-vous manqué et, les derniers, sur l’éclat de la chair admirable éternisent quelques secondes leurs regards qui, soudain, voient loin, très loin au-delà des enjeux et des changements de date, au-delà des caresses et des serments, au-delà même des chants indéchiffrables des sirènes. Il est minuit sur le château, sur la plaine et sur la mer.

  Il est minuit sur les jeux et les enjeux.

  Il est minuit au cadran des horloges.

  Il est minuit sur l’amour et sur les lettres égarées et la sirène chante, mais sa voix ne dépasse pas les parois de verre, mais le buveur survient et boit la chanson et libère la sirène, celle qu’on nomme l’Inouïe et qu’on nomme aussi la Fantomas.

  Cigogne étoile aimée du silence et des sens

  Baisers défunts des rois la lance désirée

  Le cercle tracé sous les toits du ciel assassin

  Par le sang sans vergogne et les roses et les fourrés

  Bourgogne naissante à l’aube d’un baiser

  Bateaux encerclés intelligibles paroles du cercle

  En trois segments martyrisé

  Du signe plus reliant l’amant à sa maîtresse

  L’hippocampe à la sirène

  Et que nul ne les atteigne ni ne les sépare.

  Que ceux qui le tenteraient

  Soient confondus s’ils sont de mauvaise foi

  Réduits à l’impuissance s’ils sont de bonne foi.

  Que rien par ce cercle qui les isole

  Ne sépare la sirène de l’hippocampe

  L’hippocampe de la sirène

  Et que dit-il lui:

  Que rien ne l’atteigne elle

  Dans sa beauté dans sa jeunesse dans sa santé

  Dans sa fortune dans son bonheur et dans sa vie.

  Que le buveur, ivre de la chanson, parte sur un chemin biscornu bordé d’arbres effrayants au bruit de la mer hurlant et gueulant et montant la plus formidable marée de tous les temps, non hors de son lit géographique, mais coulant d’un flux rapide hors de la bouteille renversée tandis que, libre, la sirène étendue sur le sol non loin de cette cataracte, considère l’étoile, la tantôt noire, la tantôt bleue, et s’imagine la reconnaître et la reconnaît en effet.

  Ceci se passe, ne l’oublions pas, dans une véritable plaine, sur un véritable rivage, sous un véritable ciel. Et il s’agit d’une véritable bouteille et d’une véritable sirène, tandis que s’écoule une mer véritable qui emporte la lettre et monte à l’assaut du château.

  Écoulement tumultueux du contenu de l’insondable bouteille. C’était pourtant une bouteille comme les autres et elle ne devait pas contenir plus de 80 centilitres et, pourtant, voilà que l’Océan tout entier jaillit de son goulot où adhèrent encore des fragments de cire. Frémissement des monts et des fondations du château sous l’assaut de l’eau, déplacement de l’étoile, rien ne peut distraire la sirène de sa rêverie en proie à sa propre respiration, dans l’odeur de violette de la nuit. Monte, monte Océan, roule tes vagues et reflète en les déformant les monstres inscrits dans les constellations et joyeux de se mesurer avec les terribles créatures de tes cavernes et de tes gouffres, monte, monte, emporte les buissons de thym et de prunelliers et fais, l’un sur l’autre, ébouler les tumulus de glaise et d’argile et les tas de cailloux, renverse la tombe oubliée par un criminel d’autrefois et un fossoyeur paresseux à l’aube d’un jour d’été où les diamants de la vie résonnaient formidablement dans les verres du cabaret et s’étalaient en cartes d’îles inconnues sur la nappe blanche.

  Monte, monte et roule ton écume en fourrures élégantes puisque la sirène se plonge en toi, se roule en toi et monte avec toi vers le porche obscur du château, citadelle d’ombre et de fantômes, béant sur la ligne d’horizon qu’il engloutit interminablement.

  Et voici que la sirène pénètre dans le château et s’égare dans un long corridor de draperies et de toiles d’araignées à l’issue duquel, lance et flamme et épée dans les mains, dans son armure de fer l’attend un chevalier.

  Long combat, mêlée où le cliquetis de l’arm
ure se mêle au cliquetis des écailles, éclairs des épées dans l’ombre, ahan des combattants, reflets des étoiles du ciel sur la cuirasse et les cuissards et de l’Océan sur la queue de la sirène, sang s’insinuant dans les jointures des dalles, souffle qui fait vibrer les toiles d’araignées. L’une de celles-ci s’agite sur le mur et son ombre en fait une créature abominablement géante.

  Quand la sirène s’éloigne, les pièces de l’armure baignent, pêle-mêle, dans le sang, sur le sol, tandis qu’à son tour la tantôt noire, la tantôt bleue, pénètre à son tour dans le corridor, s’empare de l’épée du chevalier, attaque la sirène.

  Escrime fabuleuse, ce spectacle je le vois, il se déroule sous mes yeux, escrime fabuleuse que celle de l’étoile dont les branches se rétractent et s’allongent tour à tour. Zigomar du ciel, astucieuse duelliste, étoile, ton dernier reflet est parti vers des planètes distantes de millions et millions de kilomètres et, demain, dans des millions d’années, les astronomes surpris de ne plus voir ton fanal parmi les récifs sidéraux publieront qu’un grand naufrage vient d’avoir lieu dans les espaces célestes et qu’il faut noter ta disparition sur la liste déjà longue des phénomènes inexplicables et je doute que l’on donnerait créance à qui dirait que c’est une sirène qui, te frappant dans ton cœur à cinq branches, a supprimé ton éclat de l’écrin des comètes, des soleils, des planètes, des nébuleuses et de tes sœurs, les autres étoiles, parmi lesquelles te regretteront tes compagnes préférées, l’étoile du Nord et l’étoile du Sud.

  Ô sirène! je te suivrai partout. En dépit de tes crimes, compte tenu de la légitime défense, tu es séduisante à mon cœur et je pénètre par ton regard dans un univers sentimental où n’atteignent pas les médiocres préoccupations de la vie.

  Je te suivrai partout. Si je te perds, je te retrouverai, sois-en sûre et, bien qu’il y ait quelque courage à t’affronter, je t’affronterai

  car il ne s’agit de souhaiter ici ni victoire ni défaite tant est beau l’éclat de tes armes et celui de tes yeux quand tu combats.

  Marche dans ce château désert. Ton ombre surprend, c’est sûr, les marches des escaliers. Ta queue fourchue se prolonge longuement d’étage en étage. Tu étais tout à l’heure au plus profond des souterrains. Te voici maintenant au sommet du donjon.

  Soudain tu t’élèves, tu montes, tu t’éloignes en plein ciel. Ton ombre, d’abord immense, a diminué rapidement et ta minuscule silhouette se découpe maintenant sur la surface de la lune. Sirène tu deviens flamme et tu incendies si violemment la nuit qu’il n’est pas une lumière à subsister près de toi dans des parterres de fleurs inconnues hantées par les lucioles.

  Bonjour la flamme.

  Elle me tend ses longs gants noirs.

  Et c’est le matin le feu l’aube et les ténèbres et l’éclair. Bonjour la flamme.

  Tu ne me brûles pas.

  Tu me transportes.

  Et je ne serais plus que cendre, ô flamme, si tu m’abandonnais.

  Alors, comme les astres tombaient du ciel sur le lac invisible dans lequel je m’enfonçais avec délices,

  Elle mit ses mains à mon cou et, me regardant dans les yeux de ce regard que mes yeux absorbent, elle dit:

  «C’est toi que j’aurais dû aimer.»

  Souviens-toi de cette parole pour les années futures, toi seule digne d’incarner l’inégalable amour que je portais à une autre à jamais disparue,

  Et puisses-tu ne jamais la prononcer de nouveau

  Dans un carrefour de rides, sous un ciel de jours fanés et de désirs abolis.

  Je baise tes mains,

  Tu as le droit de ne pas m’aimer

  Insensé celui qui le méconnaît

  Je baise tes mains.

  Très haut dans le ciel montent les fumées calmes et le chant d’un oiseau si difforme que les nuages n’osent l’accueillir et que le ciel est plus clair et plus pur quand vole cet oiseau

  solitaire.

  Je baise tes mains.

  Je baise tes mains avant le départ pour la nuit, à l’arrivée des cauchemars, quand tu dors et quand tu rêves et quand tu penses à moi et quand tu n’y penses pas. Je baise tes mains, tu as le droit de ne pas m’aimer.

  Et toi,

  Te souviens-tu de cette sirène de cire que tu m’as donnée?

  Tu te prévoyais déjà en elle et dans celle qui te ressemble.

  Tu ne meurs pas de la transfiguration de mon amour, mais tu en vis, elle te perpétue.

  Car c’est l’amour qui prévaut même sur toi, même sur elle.

  Et tu ne seras vraiment morte

  Que le jour où j’aurai oublié que j’ai aimé.

  Cette sirène que tu m’as donnée, c’est elle.

  Sais-tu quelle chaîne effrayante de symboles m’a conduit de toi qui fus l’étoile à elle qui est la sirène?

  Ô sœurs parallèles du ciel et de l’Océan!

  Mais toi.

  Je t’ai rencontrée l’autre nuit,

  Une fameuse nuit d’orages, de larmes, de tendresse et de colère.

  Oui, je t’ai rencontrée, c’était bien toi.

  Mais quand je me suis approché et que je t’ai appelée et que je t’ai parlé,

  C’est une autre femme qui ma répondu:

  «Commenr savez-vous mon nom?»

  Regarde ton nouveau visage, car tu n’es pas morte.

  Par la grâce de l’amour regarde ton nouveau visage.

  Regarde, il est aussi beau que fut le premier.

  Tu n’as guère changé.

  Tes yeux de pervenche, tes yeux désormais éteints ne brillent plus dans un visage douloureux et ironique.

  Non, deux yeux plus sombres dans un visage à la fois plus sévère et plus gai.

  Elle aime comme toi les petits bistros, les zincs à l’aube dans les quartiers populaires, la joie des ouvriers quand ils sont joyeux.

  Te rappelles-tu une nuit d’abîmes?

  Nous avons passé devant le Trocadéro et au-delà, sur un

  boulevard où passe le métro aérien, non loin du Vel’ d’Hiv’.

  Nous avons bu de la bière au «Rendez-vous des camioneurs».

  Il était six heures du matin.

  Un plombier plaisanta longtemps avec nous.

  Et, une autre fois, dans ce café où l’on sert du faro et de la gueuse lambik, te souviens-tu de Marie de la gare de l’Est?

  Elle fut jadis belle, aimée, riche.

  Elle se lave maintenant aux fontaines Wallace.

  Mais, comme elle a gardé un certain goût de luxe,

  Une fois par mois elle va se faire épouiller dans un hôpital.

  Il me semble parfois que ce n’est pas avec toi mais avec ton nouveau corps, ton nouveau visage, que j’ai vu toutes ces choses.

  Regarde, regarde ton nouveau visage.

  Il est aussi beau que fut le premier.

  Regarde, regarde ton nouveau corps.

  Je me souviens de la rencontre entre ces deux visages de mon amour, de mon unique amour.

  C’est peut-être de cela que tu es morte.

  Mais tu vis, vous vivez,

  Amantes bien nommées, insoumises à mon amour,

  Visages bien nommés, corps bien nommés.

  Je pleure sur la mémoire que tu perdis en mourant, mais la mort m’est indifférente.

  Moi, je me souviens.

  Je te trouve semblable à toi-même,

  Aussi cruelle et aussi douce,

  Et ne m’accordant tellement

  Que pour me faire plus violemment regretter le peu que tu me refuses.

  Nous voici vieux déjà tous deux.

  Nous avons trente ans de plus qu’aujourd’hui,

  Nous pouvons parler de jadis sans regret, sinon sans désir.

  Tout de même nous aurions pu être heureux,

/>   S’il était dit qu’on puisse l’être

  Et que les choses s’arrangent dans la vie.

  Mais du malheur même naquit notre insatiable, notre funeste, notre

  étonnant amour.

  Et de cet amour le seul bonheur que puissent connaître deux cœurs insatiables comme les nôtres.

  Écoute, écoute monter les grandes images vulgaires que nous transfigurons.

  Voici l’Océan qui gronde et chante et sur lequel le ciel se tourmente et s’apaise semblable à ton lit.

  Voici l’Océan semblable à notre cœur.

  Voici le ciel où naufragent les nuages dans l’éclat triste d’un fanal promené à tour de rôle par les étoiles.

  Voici le ciel semblable à nos deux cœurs.

  Et puis voici les champs, les fleurs, les steppes, les déserts, les plaines, les sources, les fleuves, les abîmes, les montagnes

  Et tout cela peut se comparer à nos deux cœurs.

  Mais ce soir je ne veux dire qu’une chose:

  Deux montagnes étaient semblables de forme et de dimensions

  Tu es sur l’une

  Et moi sur l’autre.

  Est-ce que nous nous reconnaissons?

  Quels signes nous faisons-nous?

 

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